L’homme fort Claude Grenache
Le 22 octobre 1886, La Gazette de Joliette consacre un texte à un des quelques hommes forts québécois de ce temps, Claude Grenache.
M. [André-Napoléon] Montpetit a écrit autrefois sur les hommes forts canadiens des choses intéressantes dont nous détachons ce qui suit.
J’ai vu Grenache se promener à pas carrés avec trois hommes suspendus aux longues tresses de sa chevelure et s’en débarrasser à volonté par une secousse de tête. Ployer une barre de fer sur son bras, briser des cailloux à coups de poing, étaient un jeu pour lui.
Je l’ai vu, ce qui est plus fort, se renverser en arrière, de manière à ne toucher le sol que des pieds et des mains, le corps tendu comme l’arche d’un pont. On lui plaçait sur le ventre une forte enclume, sur laquelle deux hommes, armés de lourds marteaux, frappaient à coups redoublés. Grenache ne bronchait pas.
Il faut dire aussi que Grenache, il y a quinze ans, n’était pas un petit enfant. L’imagination populaire en a fait un géant. Que ne raconte-t-on pas à son sujet ?
Un jour (dit-on), Grenache, labourait tranquillement son champ, lorsqu’il vit venir un homme de haute taille, à l’air fier et hardi.
— Bonjour, Monsieur !
— Bonjour, Monsieur.
— Connaissez-vous un nommé Grenache ?
— Un peu, répondit Grenache, en arrêtant ses chevaux et en attachant aux mancherons de sa charrue les guides qu’il avait passés autour du cou. Que lui voulez-vous, mon ami ?
— J’ai entendu parler de sa force et je voulais le tâter un peu.
— Et quel est votre nom, s’il vous plaît ?
— Moi, oh ! je n’ai pas honte : vous avec dû entendre parler plus d’une fois de l’Oiseau-Rouge, c’est moi qui suis l’Oiseau-Rouge, à preuve que j’en porte la plume sur mon chapeau, comme vous voyez.
— Vous êtes un grand batailleur, je suppose.
— Comme vous dites, monsieur. Depuis dix ans que je vais dans les chantiers, je n’ai pas encore rencontré mon maître.
—Mais Grenache n’est pas un batailleur, lui, il est aussi paisible, aussi doux qu’un agneau.
— Ta, ta, je saurais bien trouver son côté sensible; vous n’avez qu’à me conduire chez lui ou m »indiquer sa demeure, et vous verrez bien qu’il n’entendra pas chanter l’Oiseau-Rouge sans faire entendre son ramage à son tour.
Grenache tenait, en ce moment, sa main droite sur un des mancherons de sa charrue.
— Pour ce qui est de vous conduire, vous pouvez vous adresser à d’autres qu’à moi, car je n’ai pas de temps à perdre; mais, quant à vous indiquer sa maison, rien n’est si facile : tenez ! voyez-vous cette petite maison blanche derrière les arbres ? c’est là qu’est sa demeure.
Et Grenache, pour indiquer sa maison, avait levé d’une main sa charrue, à bras tendu, dans la direction voulue.
Ce texte est aussi paru dans Le Journal des Trois-Rivières, 31 octobre 1881.
L’image est la couverture du livre à colorier non paginé, Les sportifs, des Éditions de l’Axe (Drummondville), sans date, C 1911.