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Retour sur l’écrivain russe Yvan Tourgueniev

la plaine en hiverDans sa lettre de Paris du 8 septembre 1883, Sylva Clapin, le correspondant du quotidien québécois Le Canadien, évoque la mort qui moissonne beaucoup dans la société des gens de lettres en cette année. Extrait.

Aujourd’hui, c’est le tour de Ivan Tourgueneff [sic], le célèbre romancier russe dont les ouvrages ont tant contribué à faire connaître en Europe, depuis la seconde moitié de ce siècle, tout ce qui aurait pu encore bien longtemps rester lettre close pour nous, touchant la grande et puissante Russie.

Bien que Russe de naissance, et aimant par-dessus tout son pays, Ivan Tourgueneff, depuis la disgrâce dont l’avait frappé Nicolas I, s’était tellement identifié avec Paris que cette ville en était venue à ne plus le considérer que comme un des siens. Aussi la mort de Tourgueneff est-elle vraiment un deuil pour les lettres françaises. Et que d’amitiés illustres dans cette vie qui vient de s’éteindre ! Citons entre’autres Mérimée, qui fut aussi traducteur de ses œuvres, Alexandre Dumas, et, plus près de nous, Gustave Flaubert avec lequel Tourgueneff offrait plus d’une analogie physique, tous deux d’une même stature géante et avec la même bonne grosse tête de colosse sur leurs épaules carrées.

Plus tard encore, Alphonse Daudet, de Goncourt et Zola devinrent les assidus du vieillard, et il ne se passait guère de semaine que le petit salon de Tourgueneff ne les vit tous réunis, fraternisant dans l’art, discutant et exposant leurs diverses théories.

Qui dira les idées, écloses depuis sous formes de volumes, qui ont dû germer et s’élaborer dans le cher petit cénacle, maintenant fermé à jamais ?

Tourgueneff était passé maître dans l’art de donner pour décor à ses œuvres des paysages d’hiver de sa patrie. Jamais encore, croyons-nous, plus habile virtuose n’a tiré autant de motifs variés et charmants de cette symphonie en blanc mineur sur laquelle s’exerçait jadis ce grand styliste qui a nom Théophile Gautier. C’est sans doute là l’explication du charme que plus d’un lecteur canadien a dû éprouver en parcourant les livres de Tourgueneff.

En effet, n’avons-nous pas nous aussi, de même qu’en Russie, mais avec la troublante majesté de la nature canadienne en plus, n’avons-nous pas, dis-je, sous les yeux, durant cinq longs mois, ce même spectacle de vastes horizons enneigés, se déroulant à l’infini, immensité à la fois morne et solennelle, d’une saisissante mélancolie, et d’où il semble qu’il ne puisse surgir que de graves et nobles pensées !

Dans tous les cas, si jamais nos œuvres circulent en France, j’estime qu’elles devront une bonne part de leur vogue à l’originalité que nous aurons puisée dans nos scènes hivernales, dans la description exacte de nos paysages en pleine saison boréale. […]

 

Le Canadien (Québec), 21 septembre 1883. Le caractère gras est de nous.

On trouvera ici d’autres billets où il est fait mention du grand Tourgueniev.

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