Des pêcheurs partis de Saint-Pierre et Miquelon chanceux de s’en tirer
Les deux naufragés recueillis par le vapeur Dominion et qui ont été débarqués à Québec, dimanche, sont arrivés à Montréal, ce matin.
Ils sont maintenant les hôtes de M. Émile Marquette, au bureau d’immigration de la Province, rue Craig. Ils s’appellent Louis Boissenel et Pierre Godefroy. Le premier est âgé de 24 ans et le second de 19 ans.
Tous deux ont vu le jour à Cancale, un village de pêcheurs situé à neuf milles de St-Malo, France. Le 19 mars, ils s’embarquaient à bord du vapeur Château Lapitte [sic] avec 1,200 compagnons pour St-Pierre Miquelon. Rendus à destination, ils firent partie de l’équipage de la goélette Marietta et commencèrent la pêche à la morue sur les bancs de Terreneuve.
Tout alla assez bien jusqu’au 9 juillet, alors qu’ils reçurent l’ordre d’aller visiter les lignes à 3 heures du matin. Ils s’embarquèrent dans une frêle embarcation et s’éloignèrent du bateau. La mer était couverte d’une brume épaisse qui les empêchaient de distinguer à deux pieds en avant de la chaloupe.
Les deux marins ne purent découvrir la bouée qui retenait leurs lignes et résolurent de revenir au point de départ. Ils commencèrent à ramer de toutes leurs forces, mais ils étaient égarés sur l’immense océan et ils ne purent rejoindre la Marietta.
Durant quatre longues nuits et quatre longs jours, ils furent le jouet des flots. Ils étaient transportés au gré des vents et des courants. Enfin, le 13 au matin, ils distinguèrent au loin, à l’horizon, un transatlantique. Ils firent force rames vers ce point de salut, mais inutilement, leurs signaux ne furent pas aperçus.
Quelques heures plus tard, une autre voile se montra dans le lointain, mais, encore une fois, l’on ne fit nul cas des naufragés. Les malheureux anéantis par la souffrance et les privations — il y avait quatre jours qu’ils n’avaient ni mangé ni bu — ne se laissèrent pas aller au désespoir. D’un commun accord, ils firent vœu d’aller se prosterner dans la chapelle du Verger à Cancale, s’ils étaient secourus.
Moins d’une heure après, le Dominion apparut. Ils furent recueillis par l’équipage et entourés de tous les bons soins que nécessitait leur état d’extrême faiblesse. On leur donna en outre des aliments, des articles d’habillement, chaussures, bottines, etc. Les bottes de pêche qu’ils portaient et que nous avons vues, ce matin, sont énormes. Les deux paires réunies pèsent 25 livres [plus de 11 kilos].
Les deux marins sont extrêmement sensibles des bons traitements qu’ils ont reçus de la part des officiers, des membres de l’équipage du Dominion. Ils sont heureux de les remercier publiquement ainsi que les personnes charitables qu’ils ont rencontrées à Québec. Ils sont venus à Montréal pour voir le consul de France, afin de pouvoir retourner dans leur patrie.
La Patrie (Montréal), 17 juillet 1900.