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Ce que peuvent faire naître les vacances d’été chez un adolescent

le grand meaulnes

Qui peut bien être ce Xavier Vincy qui écrit dans Le Monde illustré (Montréal) au début des années 1890 ? Est-ce nom d’emprunt ? Le voici avec un nouveau texte paru le 24 juin 1893. Amour d’adolescent.

Qui de vous, amis lecteurs, n’a pas éprouvé quelques-uns de ces moments d’ennui, de ce trouble mal défini où l’esprit désire quelque chose sans savoir ce qu’il veut ?

Hier donc, que j’étais dans cette disposition, je passais devant ma bibliothèque en y jetant un regard distrait, lorsque tout à coup je crus entendre une voix…. Oh ! si faible !…. un soupir qui appelait au secours ! Je croyais m’être trompé et j’allais continuer, lorsque le même appel se fit entendre de nouveau, et cette fois la voix semblait sortir d’un tiroir de ma bibliothèque. Je l’ouvre….

— À moi ! au secours ! disait la petite voix d’un air lamentable.

— Où donc ? m’écriai-je.

— Ici, répétait la voix; dans le second tiroir, à la page 26.

Vous comprenez que je ne fus pas lent à ouvrir le fameux cahier et y chercher la page indiquée…. Vous pensez sans doute qu’une sorcière ou quelque bonne fée y avait établi son domicile, et que, s’y trouvant ensuite trop à l’étroit, elle m’avait appelé à son secours ? Ou peut-être vous imaginez-vous qu’un mien ami ventriloque y faisait parvenir ces gémissements affaiblis ? Ou bien encore qu’un phonographe caché y répétait un appel prononcé bien longtemps auparavant ? Point du tout, lecteur, vous n’y êtes pas….

À la page 26 du cahier indiqué, je trouvai tout simplement un petit sonnet depuis longtemps oublié. Mais ceci est une toute autre histoire.

Dans mes années de collège, j’étais porté à la rêverie. Lamartine et ses Méditations faisaient mes délices. Or, un soir de vacances, un beau soir d’été, à l’heure où l’astre du jour, voilé de draperies et de pourpre, va disparaître derrière les montagnes, je me promenais sous les érables et les bouleaux qui entourent la maison de mon père.

Un livre sous le bras, l’œil perdu dans le vide, je contemplais la beauté toujours nouvelle d’un coucher de soleil de juillet. Depuis quelque temps, j’étais absorbé par cette contemplation, lorsque je sentis une petite main se poser sur mon épaule. Je me retourne et j’aperçois ma petite sœur accompagnée d’une jeune blonde, à la taille parfaite et aux yeux d’azur.

Mon imagination était déjà surexcitée. Du premier regard, je la trouvai idéalement belle. Une minute après, j’étais fou d’amour. Les vacances se passèrent. Je revis plusieurs fois ma Dulcinée. Elle était du même caractère que moi : comme moi, elle était rêveuse; plus que moi, elle était peintre et poète. Ensemble, nous traçâmes maints croquis, nous scandâmes plus d’un vers.

Cependant, septembre arriva; il fallut nous séparer. Nous nous fîmes des promesses, elle me jura fidélité….

La suite s’explique. J’arrivai au séminaire encore plus rêveur que l’année précédente. J’étais en classe de Belles-Lettres [en Belles-Lettres, nous avions 17 ans]. Je les cultivai avec ardeur. Ma plume traça plus de mille vers. Je traitai tous les sujets. Inutile de dire que ma blonde aux yeux d’azur était au fond de tous. Cependant, mon astre, en naissant, ne m’a pas fait poète et, malgré toute ma bonne volonté, je ne pus jamais parvenir à une pièce de poésie. Je faisais des vers corrects et voilà tout.

Un jour cependant, l’inspiration avait daigné descendre en moi et j’en avais profité pour me rendre coupable d’un joli sonnet que j’avais couché à la page vingt-six de mon cahier. Inutile de dire que le sonnet en question n’était pas parfait. Aussi m’étais-je dit : mettons-le toujours ici, nous le corrigerons plus tard. Quelques jours après, j’y revins, mais l’inspiration avait fui, il était trop tard.

Je le laissai donc pour mort, et, depuis longtemps, je n’y pensais plus lorsque hier il se réveilla. Mais cette fois, c’était son dernier cri. L’inspiration n’est pas revenue. La belle a fui depuis longtemps. Il est décidément trop tard.

X. Vincy.

 

Pourquoi, comme illustration, cette page couverture du livre d’Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, publié en poche en 1964 ? Parce que le situation évoquée ici me ramène en partie à celle d’Augustin Meaulnes, le héros du livre d’Alain-Fournier. De même qu’à une histoire que je vivais personnellement.

Voir aussi ce texte du poète Charles Gill.

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