«Divagations»
Décidément, ce site baigne à l’occasion dans un monde féminin.
Voici Ludovic et ses divagations.
À Marthe D.
«Quand donc te rencontrerai-je, ô toi que je dois aimer?»
Soudain, il me sembla qu’une ombre s’interposait entre la lumière et moi. Je levai les yeux et, Ciel, que vis-je ?
À deux pas devant moi, j’aperçus une femme resplendissante de beauté, chef-d’œuvre du génie créateur. Une abondante chevelure brune entourait son front comme d’une auréole. Cependant, un voile de tristesse obscurcissait son admirable regard et une larme brillante perlait au coin de sa paupière.
Charmé à cette vue, je m’inclinai dévotement devant l’apparition et lui demandai : «Qui es-tu, adorable créature ? Est-il possible qu’un chagrin quelconque puisse altérer un si charmant regard ? Réponds-moi vite et dis-moi s’il est en mon pouvoir de te consoler.»
«On m’appelle Marthe, me répondit-elle; je suis celle dont le cœur plein d’amour ne demande qu’à se laisser aimer. Depuis longtemps, j’erre, solitaire, cherchant à qui donner mon cœur et je n’ai pu encore trouver un amour assez grand pour répondre à celui qui me consume.»
«Comme toi, lui dis-je, mon cœur déborde de tendresse et je cherche en vain sur qui déverser ce trop plein. Mais tu es venue. Veux-tu me permettre de t’aimer ?»
«Si je pouvais te croire, dit-elle, songeuse, toute ma vie serait à toi.» Je me prosternai plus bas, et je voulus baiser la soie de sa robe en fleur, mais ma main et mes lèvres ne trouvèrent que le vide.
Je revins à la réalité et me retrouvai seul dans ma chambre encore plus triste qu’auparavant. J’avais rêvé!
Depuis ce jour, je porte profondément gravé dans mon cœur les traits charmants de cette apparition.
Je me plais à évoquer son souvenir, l’appelant, ô mon idole, espérant te voir m’apparaître de nouveau; mais c’est en vain et je me désespère !…
Marthe, Marthe adorée, te retrouverai-je jamais ?
Ludovic
La Patrie (Montréal), 11 mai 1907.