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Des réactions venues du fait d’emprunter la Terrasse à Québec

Si vous venez à Québec, que vous allez marcher sur la Terrasse, vous risquez d’être estomaqué. De passage, l’écrivain français René Bazin (1853-1932), originaire d’Angers, n’a pu s’empêcher d’échapper ces mots en 1912 : D’où vient donc mon émotion ? Pourquoi mes lèvres, malgré moi, s’ouvrent-elles pour dire : «Que c’est beau, que c’est beau.»

Pour Simone Routier (1901-1987), poétesse de Québec, l’immense paysage que lui donnent à voir la Terrasse et le toit de sa maison qui la surplombe est un appel à l’ailleurs. Dans son ouvrage Les Tentations paru en 1934, elle écrit :

Sur la maison, l’air est plus abondant, plus pur,

Si j’y montais ? Il est midi, le soleil darde,

Notre terrasse est vaste et le haut pan du mur

Où ma chaise s’appuie y monte un peu la garde,

Il ne livre au voisin que mes cheveux…

 

Notre fleuve est au bas et, de mon altitude,

Je vois s’en aller tant de libres paquebots,

Par le tournant lointain, vers la mer désirée,

Que l’opulent départ crie en moi de nouveau

Et que je me sens plus seule et plus altérée.

Un avion s’amuse à scruter nos contours,

Son moteur ronfle et c’est comme une immense abeille

Qui cherche dans l’azur l’unique fleur vermeille.

Et longtemps l’œil s’aiguise à suivre son parcours.

 

Les côtes de Lévis, d’humbles maisons gemmées,

Ont soudain à leurs pieds de minuscules trains

Dont la tête au parcours jette, en blanches fumées,

Un panache agrandi par delà les moulins;

Une vie au décor, un écho vif à l’âme.

De longs nuages gris, en l’instabilité

Captivante de leurs profils, disent la flamme

Du rêve changeant qu’un soleil a sculpté.

Et tout ce clair espace exprime on ne sait quelle

Ivresse résignée où dort un grand désir.

 

Le Saint-Laurent enlace encor la citadelle,

En étreignant le Cap, avant de s’étrécir.

Son eau drue est puissante et profonde, mais passe

En maîtrisant sa force, obstinée en son lit.

 

À gauche un petit parc où le grand Séminaire

Glisse le rang étroit de son noviciat,

Petit parc tout boisé, bien humble et solitaire.

Ses sentiers sinueux n’arborent point l’éclat

Des jardins éclairés de vasques et de marbres,

Seul un gris monument y met son lourd défaut.

 

Que suis-je attachée à ce fleuve, à ces arbres,

À ce rocher nu qui connut les durs assauts,

À cette île, à ces monts bleus, à ce paysage

Des miens, de mon enfance ! Et pourtant… un désir,

Plus véhément encore que leur ardente image,

Me harcèle souvent : Partir ! Partir ! Partir !

 

Et n’est-ce point ce même appel qui fit venir

Mes ancêtres, leur fit quitter leur beau village ?

Et que le sang normand fait en moi refleurir,

Pressant besoin d’adieux, de départs, de rivages ?…

 

J’extrais ce texte de Simone Routier de l’ouvrage de l’abbé A. Dion, Topographie de Montmagny, Québec, L’Action catholique, 1935, p. 20s.

Sur l’histoire de la Terrasse Dufferin, voir ce billet.

4 commentaires Publier un commentaire
  1. silvana #

    Comme c’est bien dit; on se retrouve là avec elle. Il nous vient des envies de prendre le large et de respirer les embruns!

    Merci encore de votre patient et heureux labeur.

    16 juin 2015
  2. Jean Provencher #

    J’aime beaucoup l’écriture de cette dame. Un cri s’y cache, dirait-on, chère Silvana.

    16 juin 2015
  3. Ode #

    Et le fleuve de dire :

    Je consentais à boire
    À être de toutes les marées
    Avec les larmes qui m’emportent ….

    17 juin 2015
  4. Jean Provencher #

    Ce cher fleuve. Merci, chère Ode.

    17 juin 2015

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