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Rencontre avec un vieux Patriote

habitant la patrie 23 juin 1903

Le jeune Alfred Descarries (1885-1958) était allé marcher dans le bois avec son copain Gustave. Or, le crépuscule s’approchant, le calme du soir s’installant, une soif tenaillait Alfred, «sans quoi je ne saurais marcher un arpent de plus par cette chaleur». Reprenons le fil du récit de Descarries.

Tu auras bientôt tout ce qu’il te faut, reprit mon compagnon, car je distingue maintenant là-bas dans les arbres la jolie maisonnette d’un digne cultivateur, chez lequel je suis toujours le bienvenu.

Je me sentis ranimer à cette promesse et nous continuâmes notre route.

Dix minutes plus tard, nous atteignions le gîte du «père Jacques» enfoui sous la verdure, vrai nid d’oiseaux perdu dans les branches.

Gustave frappa à l’une des croisées, et le brave homme en train de culoter une pipe vint nous ouvrir, exprimant par sa franche réception le plaisir que lui causait notre visite.

Quand les poignées de main furent échangées de part et d’autre, on dressa le couvert. J’avoue que je n’ai guère souvenance d’avoir pris dans ma vie un souper plus appétissant. Était-ce dû à la longueur de la route parcourue depuis une heure ? Cela se peut, mais assurément l’omelette qu’on nous servit était de celle qui se mangerait sans avoir faim.

Le souper pris, il nous fallait veiller, cela va sans dire. J’étais fatigué et j’eus préféré regagner mon gîte pour m’y reposer. Cependant, le père Jacques, causeur très intéressant, malgré ses quatre-vingt-quatre ans passées, captiva vite mon attention, et Gustave, me désignant soudain accroché au mur un vieux sabre rouillé, mit le comble à ma surprise en disant au vieillard : «Père Jacques, je regarde votre sabre de 1837 et je me demande combien d’Anglais il a envoyé dans l’éternité ?»

Mon ami venait d’évoquer en quelques mots tout le glorieux passé du pays au cœur d’un de ses plus valeureux enfants.

Une flamme de vaillance passa dans le regard sombre du défenseur des grands jours, et se levant vivement il courut à la glorieuse arme qu’il brandit comme aux heures terribles d’antan.

«Les Bonnets Rouges vont y goûter à celle-là, mes amis, dit-il, farouche. Nous n’en avions pas tous, mais elles vous fauchaient tout de même cette canaille comme mouche, je n’avais pas 19 ans alors, et je me rappelle de ça comme si c’était d’hier.» Et le bon vieillard pleura sur nos défaites, lui qui 63 années auparavant assistait à ces luttes inoubliables de l’opprimé contre l’oppresseur.

Une vive émotion nous serra le cœur en voyant pleurer ainsi sur l’épopée la plus glorieuse de notre histoire un des seuls survivants de la pléiade intrépide dont l’immortel Papineau fut l’âme.

Alfred Descarries.

 

La Patrie, 27 juin 1903.

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