Cousin, Cousine, et amoureux
Âgée de deux ans à peine et, hélas ! orpheline de père et de mère, ma petite cousine Berthe me fut donnée pour compagne, pour sœur.
J’avais trois ans.
Nos deux petits cœurs volèrent bien vite l’un vers l’autre. Nous nous entendions si bien, et nous nous aimions tant que le sombre voile de la nuit pouvait seul nous séparer.
Depuis plus de quinze printemps, j’allais donc à ses côtés, charmé par sa douceur, toujours égale, joyeux de sa gaieté; mêlant mes jeux innocents à ses jeux candides, mes chants à ses rires, et mes rires à ses chants; poursuivant avec elle, à travers la prairie embaumée et fleurie, les brillants papillons, ou chassant sur le bord des eaux, les vives libellules, les insectes dorés.
Quelquefois, entraînés par les caprices espiègles, nous plongions, ravis, nos pieds jusqu’aux genoux, nos bras jusqu’aux épaules, dans l’onde transparente du ruisseau, riant comme deux fous; réveillant de nos cris de joie les feuilles endormies des vieux saules, et mettant en déroute les nombreux et charmants oiseaux qui gazouillaient tendrement leurs doux secrets dans les bras touffus des ormeaux.
Assis sur la colline, nous regardions, un soir, le soleil se coucher majestueux à l’horizon, quand l’astre royal, obéissant à un dernier caprice, sans doute, voulut mirer ses derniers rayons d’or dans les riants yeux bleus de ma blonde cousine, pour y chercher, peut-être quelque riche trésor, caché là par les mystères, les grâces éphémères ou les lutins moqueurs.
Après avoir baisé le cœur palpitant de ma compagne, un rayon d’or éblouissant, accompagné de l’amour, s’élance des yeux songeurs de ma cousine, ardent, sur mes yeux, les traverse brusquement; s’empare de mon âme, l’illumine, l’enflamme, disant au tendre amour : Loge-toi dans le cœur !
L’astre du jour, satisfait, avait disparu à l’horizon, emportant sur son chariot de feu les dernières feuilles de notre joyeuse enfance, nous laissant en retour les pétales écarlates de l’amour.
Émus, embarrassés, nous revîmes au foyer, silencieux, comme deux coupables.
Deux ans après, les doux liens de l’hyménée s’enroulaient pour toujours autour de nos deux cœurs palpitant d’ivresse sous les baisers caressants du Bonheur.
A. Pierre-Hault.
La Patrie (Montréal), 13 juin 1903