Un mariage chinois fait la nouvelle
Au début du 20e siècle, les mariages entre Chinois au Canada sont bien rares. Il faut comprendre qu’après avoir trouvé les Chinois bien utiles pour la construction du chemin de fer de l’Atlantique au Pacifique, le gouvernement fédéral espérait qu’ils s’en retournent. Aussi l’arrivée de femmes chinoises au Canada était quasi défendue. On faisait tout pour décourager les hommes chinois de demeurer au pays.
En 1902, un Chinois de Montréal, Charlie Yep, qui tient buanderie rue Saint-Denis, coin Roy, est fort heureux. Voilà six ans, il avait demandé à son cousin habitant Vancouver «de lui faire venir de son pays une perle de l’Orient, soumise et douce et jolie comme un clair de lune s’éternisant sur un pays d’alluvions sans fin».
Au début de la troisième semaine de mai, son cousin le prévient que sa belle est arrivée, qu’elle prendra l’Imperial Limited, le train, pour la gare Windsor. À compter du mardi, Yep se rend à la gare quotidiennement, car, enfin, il va connaître le bonheur du mariage avec une femme de son pays d’origine. Finalement, la voici, le dimanche matin, en pleine nuit.
Le lundi, 26 mai 1902, La Patrie raconte.
Une pêche orientale de 17 printemps, plus timide que la plus humble des pâquerettes et répondant, sans que cela y paraisse, au doux nom de Lin She. C’est la femme à M. Charlie Yep, le très patient Chinois qui, à tant de reprises, la semaine dernière, se rendit aux arrivées de l’Imperial Limited, pour y rencontrer sa future.
Elle arriva enfin dimanche à 2 heures du matin, et, dès 9,30 hier, elle épousait par devant le Révérend Thompson, missionnaire chinois à Montréal, son seigneur et maître, le sympathique Charlie Yep, dont nous publions la photographie.
Le représentant de «La Patrie» s’en fut ce matin chez M. Yep, coin des rues Laval et Duluth, et réitéra ses souhaits de bonheur à M. Yep qu’il avait vu précédemment. Le dialogue suivant ou à peu près s’engagea à la façon chinoise, et le représentant de «La Patrie» crut devoir s’humilier conformément à toutes les règles de l’étiquette céleste :
— Mon cher Monsieur Yep, croyez bien que je suis l’infime rognure d’ongle de l’orteil du plus humble de vos serviteurs, mais vous seriez bien gentil de me donner quelques détails sur les fêtes en l’honneur de votre mariage, ainsi que des nouvelles de madame votre jeune épouse.
— Li Charlie Yep est la poussière que tu foules et li bien content de pouvoi’ t’être agréable. À quatre heures cet après-midi, je donne un premier dîner dans le quartier chinois, et ce soir il y aura un second dîner qui ne se terminera pas de sitôt. Après nous ferons des visites à tous nos amis. Moi, serais bien content si tu disais dans ton journal que moi reçu beaucoup présents.
Hier soir, il y eut réception chez M. Yep. Mme Yep portait à ravir les vêtements orientaux, mais l’époux était vêtu absolument à la moderne; il a même sacrifié sa natte de cheveux et rompu sans hésiter avec la tradition de son pays. Son salon est un bijou où l’art chinois se combine heureusement à nos raffinements. Mme Yep et les autres Chinoises présentes saluaient les invités très bas.
Un détail avant de finir : Le mariage chinois est très fataliste et les époux s’épousent l’un et l’autre pour le mieux ou pour le pire. Il fallut, hier matin, expliquer cette formule à Mme Yep avant qu’elle ne la prononçât.
Mme Yep est la septième femme chinoise de toute la colonie céleste à Montréal.