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Contribution à une histoire du Bar rayé

bar rayeDepuis le milieu des années 1965, le Bar rayé (Morone saxatilis) était disparu de l’estuaire du Saint-Laurent. On croit que la pollution, la dégradation des sites de frai, la surpêche et la baisse des populations de certains poissons dont il se nourrissait avaient eu raison de cet anadrome.

Mais un programme de réintroduction est en cours depuis 2002. Pendant sept ans, on a ensemencé entre Saint-Pierre-les-Becquets et Rivière-Ouelle 6 300 Bars rayés de taille supérieure à 60 mm et près de 6, 5 millions de larves provenant de la côte atlantique. Et des signes de reproduction naturelle commencent à être observés. Mais le salut du poisson dans l’estuaire du Saint-Laurent n’est pas encore assuré; aussi demande-t-on à tout pêcheur de remettre les bars à l’eau lors de captures accidentelles en prenant soin de ne pas blesser l’animal au moment du décrochage de l’hameçon.

Voici maintenant un véritable document ethnologique sur le Bar rayé d’André-Napoléon Montpetit publié dans Le Canadien du 20 janvier 1885. Montpetit «nomme» ici un poisson, des manières de faire et un vocabulaire qui autrement nous seraient perdus. Un texte précieux.

 

Le plus grand des Percoïdes, d’une voracité telle qu’elle lui a valu le nom de Loup de mer, Lupus labrax, comme le désigne Cuvier.

Ce poisson abonde sur les côtes du Nouveau-Brunswick. Il remonte le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Sorel, à la tête du lac Saint-Pierre; il y passe l’hiver, puis il redescend à la mer avec les glaces de la débâcle, pour en revenir au mois d’août, à la poursuite de la Sardine, de l’Éperlan et de la Petite Morue. Les Bars adultes, à cette saison de l’année, ne remontent guère au-delà des eaux saumâtres, un peu au-dessus du cap Tourmente, dix lieues au-dessous de Québec.

L’hiver, on le prend dans le lac Saint-Pierre au moyen de rets tendus sous la glace.

Au printemps, dès que le grand chariot des glaces est disparu dans la direction du golfe, les habitants de la Côte-du-Sud, tous plus ou moins pêcheurs par tradition, depuis Beaumont jusqu’au Cap Saint-Ignace, se hâtent de tendre leurs pêches ou parcs en clayonnage, disposés en équerre, dont le grand côté mesure de quatre à cinq arpents [un arpent est 58 mètres de long], et le petit côté, appelé queue de la pêche, deux ou trois arpents.

À la haute mer, le Bar se rapproche des côtes en quête de coquillages, sa seule ressource de cette saison de l’année. Pendant qu’il se repaît, la mer baisse et il recule lentement avec elle jusqu’à ce qu’il se trouve arrêté par la barrière du parc; il finit par s’entasser dans le franc coin de l’équerre où on le prend facilement à la main. […]

Cette abondance dure au plus quinze jours. Passé ce temps et jusqu’au mois d’août, le soin des pêches est négligé. Il n’y rentre plus que du menu fretin, des petits esturgeons mêlés de quelques mulets ou corégones dits poissons blancs. Durant sa descente à la mer, le Bar ne mord à aucun appât.

Mais voici venir le mois d’août. […] C’est le temps de pousser au large, car les premières pêches sont assez souvent les meilleures. Les uns traversent de Saint-Thomas [de la Pointe-à-la-Caille, voisin de Montmagny] ou de Berthier aux îles d’en face, les autres moins hardis ne dépassent pas la batture, d’où ils peuvent rentrer au port en quelques coups de rame, si le gros temps menace.

C‘est à Saint-Thomas, dans les îles d’en face, à l’île Madame et aux battures plates que sont les meilleurs endroits, mais c’est à la batture aux Loups-marins, vis-à-vis de L’Islet que se prennent les bars de la plus forte taille […].

Les amateurs de pêche de Québec et de Montréal affectionnent les parages de la côte Beaupré [sic], de l’île Madame et des îles Sainte-Marguerite et de la Corneille. Quand aux pêcheurs de Saint-Thomas, ils ont presque tous des endroits à eux dont ils gardent le secret; les plus madrés, et de beaucoup, sont les pêcheurs de l’île aux Grues.

La pêche se fait au moyen d’une ligne de huit à dix brasses, munie de deux forts hameçons montés sur des empiles de crin ou en corde filée, et lestées d’un plomb ou cale du poids de six à sept onces, qu’on lance à toute volée. Un pêcheur habile surveille et entretient aisément deux lignes. […]

Il en est qui pêchent au tue-diable et même à la mouche, mais ce mode n’est pas pratiqué à Saint-Thomas. […] Le Bar est glouton et mord franchement. Une fois piqué, il oppose une furieuse résistance. Pour peu qu’il soit de bonne grosseur, de ceux nommés sileux ou siffleux parce qu’ils font siler la ligne dans leur effort pour s’échapper, il faut savoir le ménager, le tenir ferme, mais en l’attirant doucement et lui lâchant même de la ligne au besoin. Il est prudent de tenir l’épuisette prête pour le recueillir aussitôt qu’il arrive à portée, de crainte que d’un coup de sa queue sur les flancs de l’embarcation il ne rompe la ligne et s’échappe juste au moment de la jouissance qu’on a appelé le moment psychologique. […]

Très abondante en août et septembre, la pêche au Bar finit vers le milieu d’octobre, avec les premières gelées, Il est de dicton parmi nos pêcheurs que «la gelée blanche casse la gueule au Bar». […]

Au nombre des ennemis du Bar, il faut compter au premier rang le loup-marin et le marsouin. Dès qu’un marsouin vient sourdre dans un parage de pêche, il ne nous reste plus qu’à lever l’ancre et à nous éloigner — pour tenter la chance ailleurs.

 

L’illustration du Bar rayé de Germaine Bernier provient de l’ouvrage du naturaliste Claude Mélançon, Les Poissons de nos eaux (Québec, Société zoologique de Québec, 1958). Dans ce livre, Mélançon affirme que ce poisson, «magnifique bête verte et argent», était appelé Enfant des dieux par les Grecs et Loup par les Romains.

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