Les caboulots du pont de glace
En hiver, entre Québec et Lévis, alors que le pont est à la glace vive et devient un milieu de vie, voilà qu’apparaissent quelques caboulots, des cabanes de bois dénoncées par les journaux.
Le quotidien Le Canadien du 28 janvier 1884, par exemple, ne s’en cache pas. Alors que le tapis de glace est fort beau et qu’on y accourt, il écrit : Mais ce qu’il y a surtout, malheureusement pour la moralité et le bon ordre de ce magnifique champ de promenade, ce sont les caboulots. On se rappelle les scènes de désordres dont ces tavernes, quand elles ne sont pas autre chose, établies sur le pont de glace, ont été le théâtre les années passées. Les autorités devraient par conséquent couper le mal à la racine et les faire disparaître, car les mêmes scènes, qui sont désagréables et dangereuses, même pour les promeneurs paisibles, ont commencé à se produire hier après-midi. Dans une couple d’endroits, il y a eu bagarre. On ne saurait donc s’y prendre trop tôt pour extirper les caboulots causes de tout cela.
Dans ces caboulots, on soupçonne même qu’il se passe autre chose, justement, que de la vente de boissons alcoolisées, sans jamais préciser davantage. Et les pouvoirs politiques des deux rives mandatent les corps policiers pour aller vérifier de plus près.
Le 15 février 1898, La Patrie rapporte le fait suivant relatif au pont de glace Québec—Lévis : Quatre hommes de la police provinciale et deux officiers sont allés sur le pont de glace hier et ont saisi les boissons qu’on détaillait à la cabane portant pour enseigne Klondyke Club. Décidément, les propriétaires de la cabane n’y ont pas trouvé leur Klondyke. Il y a sur le pont une couple d’autres cabanes où l’on vend du pork and bean.
En lien avec cette histoire du Klondyke Club, on poursuit alors le propriétaire du caboulot. Et, toujours dans La Patrie, cette fois-ci le 22 avril 1898, voyez les résultats.
On se rappelle que M. Samuel Vézina avait été poursuivi pour avoir vendu des boissons sur le pont de glace à Québec. Le défendeur prit un bref de prohibition contre le juge et le précepteur Fortier, déclarant qu’ils n’avaient aucune juridiction sur la glace. Le juge Andrews a rendu jugement hier, décidant que le juge des Sessions de la paix n’avait aucune juridiction pour condamner une personne qui avait vendu des boissons sur le pont de glace et enjoignait d’avoir à discontinuer toute procédure contre Vézina. […] M. Vézina aura donc droit de vendre des liqueurs alcooliques sur le pont de glace… l’hiver prochain sans être molesté.
On ne le sait pas à ce moment, mais jamais plus le pont de glace ne se formera entre Québec et Lévis après l’hiver 1897-1898, sauf pour quelques heures en deux occasions.
Tiens, pourquoi ne pas en profiter et écouter la belle chanson de Francis Carco interprété par lui-même, Le Doux Caboulot.
L’illustration — Québec vu du pont de glace de 1830 — est une aquarelle de James Pattison Cockburn. On la retrouve au Musée royal de l’Ontario, à Toronto.
Quelles seraient donc les raisons qui ont fait que le pont de glace ne s’est plus jamais formé à cet endroit ? On ne parlait pas encore de réchauffement climatique à cette époque… et les bateaux ne circulaient pas beaucoup non plus…
Il s’en trouve quelques-unes, dont la combustion du charbon pour la production de vapeur (et déjà, oui, s’annoncent ainsi les changements climatiques) et les navires aux moteurs plus puissants et à la coque renforcée.