À tout météorologue
Il arrive souvent aux gens de la ville d’aller se promener à la campagne. Il fait une de ces merveilleuses journées où le ciel semble avoir emprunté à la mer son azur imperturbable […]. Et cependant, les paysans qui travaillent dans les champs regardent l’horizon d’un œil inquiet et, s’ils sont dans la saison des foins, ils rentrent les foins.
C’est évidemment un mystère pour les citadins qui ne sont pas initiés aux mystères de la vie agricole, puisque les foins ne risquent rien s’il ne pleut pas.
Mais c’est là précisément le côté curieux de la précaution que prend le paysan : c’est qu’il va pleuvoir avant qu’il se passe deux heures. Le paysan a entendu, par exemple, un vieux pivert caché dans le creux d’un arbre; ce vieux pivert, qu’il connaît bien, a chanté à se crever la poitrine. C’est signe de pluie — et il pleut effectivement.
Voilà qui peut donner à réfléchir. Un homme des champs, d’une instruction certainement rudimentaire, peut évidemment mettre en défaut les pronostics météorologiques des observatoires et des savants et prédire le temps qu’il fera avec une certitude et une exactitude égale à celle des appareils scientifiques les plus perfectionnés, à celle des instruments les plus ponctuels qui sont en usage dans les laboratoires. Mieux que cela : cette prédiction devance souvent celle des observatoires météorologiques.
La raison de cette précision presque infaillible et cette rapidité dans la prédiction est facile à trouver : on peut pronostiquer les variations du temps en notant tout simplement les communs détails de la vie à la campagne et la concordance de certains phénomènes naturels qui se présentent journellement.
Les indications que donnent les bulletins météorologiques sont certainement très correctes en tant qu’elles s’appliquent à de vastes espaces, à des étendues de plusieurs centaines de milles. Mais, quand il s’agit d’une localité déterminée, on ne peut plus leur demander la même exactitude.
Les fleuves, les montagnes viennent modifier sur des points d’une orientation spéciale ce que la prédiction scientifique a de général et d’absolu. Admettez que le baromètre d’une station météorologique donne par exemple : «Nord-Ouest modéré» pour la direction du vent, et «beau fixe» pour le temps.
Si, par suite de la situation d’un bois sur une montagne, la pluie attirée s’est mise à tomber sur une étendue de cinq milles, la température s’en trouve modifiée, le vent peut n’être plus «modéré» et le temps encore moins «beau fixe».
Or, un paysan observateur a pu prévoir la veille déjà qu’il pleuvrait et qu’il n’y aurait pas le plus léger espoir de beau temps. Dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, il ne se sert pas de baromètre; mais simplement en vivant au dehors de sa ferme, il peut prophétiser de façon certaine le temps à quarante milles à la ronde.
Le Courrier (Montréal), 10 septembre 1899.
Cette chronique a pour auteur Thomas Grimm. Il pourrait s’agir d’un pseudonyme collectif sous lequel Henri Escoffier avec quelques collaborateurs publièrent dans le «Petit journal» français une chronique quotidienne.