Prêt à tout pour la comète
L’histoire se passe à Montréal. Une nuit de novembre 1882.
Oh ! comète voilà de tes coups ! Peu satisfaite de rendre faux tous les calculs des prophètes de la température, tu joues encore de mauvais tours aux paisibles citoyens ! Mais précisons les faits.
Un citoyen du quartier Ouest, que nous ne nommerons pas pour ne pas effrayer sa modestie, n’entendant parler et ne lisant que des détails sur la comète, voulut voir par lui-même l’astre vagabond. Un des soirs de la semaine dernière, il fixa son réveille-matin à 4.30 du matin et se réveilla à l’heure dite.
Son premier mouvement fut de se précipiter à sa fenêtre, mais il eut beau regardé, il ne vit qu’un gros pâté de maisons qui lui obstruait la vue de la partie du firmament où se trouvait l’objet de sa curiosité.
On ne se lève pas pour rien à quatre heures et demie du matin, aussi notre homme prit un parti héroïque. Il fallait voir la comète ou mourir ! Se drapant dans sa robe de chambre, chaussant à la hâte une paire de pantoufles, il sortit de sa demeure et se dirigea, tête nue, vers une place publique qui n’est pas à cent lieues du Windsor.
Horreur et malédiction ! rien dans l’atmosphère. Il parcourait des yeux les espaces sidéraux, lorsqu’il entendit des pas derrière lui, une main s’appesantit sur son épaule et une voix enrouée, celle d’un homme de police, lui cria à l’oreille : «Que faites-vous là ?»
«Je regarde la comète» fit le malheureux tout abasourdi. Pour le coup, le gardien de la paix crut avoir affaire à un fou et lui demanda son nom. «Je suis M. X.» dit la victime de la curiosité en montrant son visage décomposé par la frayeur.
«Mais c’est que c’est vrai», dit le constable éclatant de rire en voyant le singulier accoutrement de son interlocuteur. «Remerciez le ciel que je vous aie reconnu, sans cela je vous aurais conduit tout droit au poste.»
Tableau ! M. X. a juré que maintenant il n’irait voir les comètes que lorsqu’elles paraitraient en plein midi.
La Patrie, 9 novembre 1882.
Contribution à une histoire québécoise du ciel. Et de la nuit aussi.
