Vieux garçons, vieilles filles, tenez-vous bien
Il va venter. Le 10 septembre 1891, La Gazette de Joliette laisse la place à un ou une quidam qui vous adresse la parole.
Je feuillette un journal de Sorel du 10 Nov. 1890 et voici ce que j’y trouve :
«Tous les ans à Sparte les femmes fouettaient les célibataires dans le temple de Venus. Si cette loi renaissait au Canada, Montréal, Québec et Sorel ne pourraient fournir ni assez de bras ni assez de verges de bouleau pour fouetter les égoïstes et les cœurs de marbre qui ne se marient pas.»
On dirait qu’un nœud, que la mort seule peut délier, effraie les canadiens de notre âge.
Aujourd’hui sur notre sol fécond, on se marie rarement, dans dix ans on se mariera moins encore. On dit en rappelant une vieille chanson populaire : «Je ne veux pas me mettre la corde au cou.» Dès lors, on trouve un vieux garçon.
Être vieux garçon, est-ce donc gai ? J’en vois qui donnent dans des travers étranges. Il y en a un de ma connaissance, musicien de talent mais que la solitude a hébété : il passe l’été sur les quais à jeter du pain d’épices et des gâteaux aux tortues qui se promènent autour du jet d’eau.
La tortue, c’est lui un vieux garçon, c’est une tortue, ou du moins ça le cœur aussi dur que l’écaille d’une tortue, puisqu’il laisse souffrir de bonnes vieilles filles, pleines de bonne volonté et de désirs en harmonie avec leurs bonnes intentions.
Un autre vieux garçon se marie avec le jeu de domino, et, matin et soir, il ne pense qu’à tourner et retourner des os blancs et noirs sur le guéridon d’un restaurant. Tous ces vieux rogomes ont l’air inquiet, décontenancés, morose.
Un vieux garçon cherchant un faux-col, un vieux garçon s’essayant à mettre un bouton à sa chemise, à sa culotte, à se repriser un morceau quelque part, c’est un spectacle qui en vaut bien d’autres, mais ça vous tombe sur les nerfs et ça vous fait haïr un vieux garçon. Mariez-vous donc, bande de vieux sales. [sic]
Savez-vous ce qui arrive la plupart du temps, quand la cinquantième année sonne à l’horloge du temps ? Le vieux garçon épouse sa cuisinière, v’lan le torchon.
C’est bon pour lui. Aussi est-il sûr de se faire passer la marmite sur la tête et le torchon dans la figure, il l’a bien voulu ainsi, le vieux goglu.
* * *
Après les vieux garçons, viennent naturellement les vieilles filles, mais il ne faut pas toutefois trop appuyer sur les vieilles, car il y a vieilles et vieilles. Ainsi une fille de 30, 35 ans même, est encore verte; à cinquante, elle peut être jaunie, mais pas trop vieille encore. Mais passé ça, elle est pas mal rassie, et court risque d’y rester, car ça c’est une vieille.
Or, ces vieilles-là ne peuvent qu’épouser de vieux veufs tout poussifs qui n’en peuvent plus, et demande de s’entourer des soins d’une bonne vieille fille qui ne sait plus faire que cela.
Ça vaut toujours mieux que coiffer Ste-Catherine; car on peut se vanter avant de mourir d’avoir pris un état, c’est une consolation et puis……. amen !
Ayayaye ! Il/elle n’y est pas allé-e de main morte ! « Mariez-vous donc, bande de vieux sales. » J’aurais tendance à penser que c’est une femme qui a écrit ce texte, à la manière dont on y égratigne les vieux garçons, égoïstes et tout ça…
Je suis bien d’accord, chère Esther. C’est ce qui me fait penser que l’auteur serait une femme. Il me semble aussi qu’elle est plus «douce», moins insistante, à l’égard des vieilles filles.