«En conséquence de la chose»
Un jeune homme, à distance, n’en peut plus pour une belle. Et il ose écrire cette lettre dans l’espoir que la dame comblera son souhait. Sous le titre Un modèle de demande en mariage, La Gazette de Joliette du 5 septembre 1889 dévoile le contenu de la lettre.
Un jour, il l’avait aperçue à l’issue de la grande messe à la porte d’une église des cantons de l’est. Deux beaux grands yeux noirs, de la noblesse au front, un sourire d’ange sur des lèvres vermeilles, un cou d’albâtre, une mise de goût, un port de reine, telle fut l’apparition, qui depuis ce moment le hantait éveillé, endormi, partout.
Il lui écrit la lettre suivante :
Mademoiselle,
Ayant appris que, comme les hirondelles et les autres oiseaux de toutes espèces, s’enfuient devant les brises froides de l’hiver, vers des climats plus doux et plus embaumés, vous avez quitté le toit paternel en compagnie d’une autre hirondelle, oiseau léger comme vous, et que vous êtes, pauvres oiseaux voyageurs, fatiguées du voyage, reposées sur les hautes montagnes des townships, et que là, comme l’aiglon posé sur ces hauteurs, vous contemplez les beautés que vous offre la belle saison d’automne, avec ses feuilles jaunes, ses champs dépouillés, ses arbres dégarnis, ses fleurs fanées, ah ! mon Dieu ! au milieu de ce dégât de la nature, tombante fleur épanouie au soleil du printemps qui succède au soleil de l’hiver, lequel suit celui de l’automne, fleur éternelle, vous êtes toujours vermeille.
C’est pour vous dire qu’en conséquence de la chose qui précède, sentant mon cœur palpiter, il palpite toujours depuis que je vous ai vue un jour à l’église de …….. ô beauté incomparable, toujours nouvelle, que je vous adore… que je vous aime ! ……
En conséquence de la chose qui précède, je ne puis me retenir, contenir l’envie que j’ai de vous dire que je voudrais …. jour ! la tête me tourne ! la langue me fourche !!! Est-ce bien moi ? Est-ce bien vous ? M’entendez-vous ? me comprenez-vous ? Je sue à grosses gouttes, je transpire de tous mes membres à la pensée que, si vous alliez me refuser, j’en demeurerais si mortifié, si constipé !
Je ne suis qu’un petit marchand de …. qui fais bien mes affaires tout seul et puis qui fais des bonnes affaires; pourrais-je espérer qu’un jour vous viendrez les goûter avec moi ? Je puis vous donner un bon billet de mon curé comme quoi je suis un honnête homme, que je ne ronfle pas la nuit et que je ne grinche pas des dents.
Dimanche prochain, voudrez-vous me faire recommander à l’archiconfrérie pour que ça aboutisse à une bonne conséquence ?
En attendant votre réponse qui sera prospère, je l’espère, recevez les sentiments de mon affection perpétuelle, à perpétuité.
Votre très aimant et très affectionné.
Z.
Adressez votre lettre comme suit :
Monsieur Z. Z. …
Marguiller en charge, Maire de la paroisse, et marchand grossier
……
Canada.
Savez-vous ce que cette belle et cruelle déesse a répondu ?
! …… ……
C’est un coup bien rude
Rude à recevoir
Malgré l’habitude
Qu’on en peut avoir.
Barbe Bleue.
Interloquée, je suis… J’ai pourtant bien lu et relu ! Autant la lettre du monsieur est enflammé et débordante de fioritures, autant la réponse sonne étrange à mon oreille… Ouf !
En effet, chère Vous. D’après la réponse de la dame, il semble bien qu’elle soit habituée à recevoir des éloges pareilles. Mais pourquoi signer Barbe Bleue ? Si on réfère au conte de Perrault, craint-elle une trahison de ce personnage si jamais elle s’avançait davantage, comme Barbe Bleue lui-même en avait vécu une ? Mystère.