Ah les moustiques !
Toute personne qui a séjourné en Amérique a une bien bonne idée de la grande variété des insectes piqueurs. Vous partez pour le Mississipi, par exemple, bonne chance ! Léon Ledieu, de l’hebdomadaire Le Monde illustré du 19 juillet 1890, prend un malin plaisir à reproduire la lettre d’un missionnaire écrite en 1727.
Je vous parlais dernièrement des moustiques, maringouins, brûlots et autre insectes genre «mouche», et je venais à peine de terminer ma causerie, qu’il m’est tombé sous la main une lettre du père du Poisson, missionnaire aux Akenzas, écrite en 1727.
Après avoir décrit les souffrance du voyage, le père du Poisson ajoute :
«Mais le plus grand supplice sans lequel tout le reste ne serait qu’un jeu, mais ce qui passe toute croyance, ce que l’on n’imaginera jamais en France, à moins qu’on ne l’ait expérimenté, ce sont les maringouins. La plaie d’Égypte, je crois, n’était pas plus cruelle.
«Il y a ici des frafe d’abord; il y a des brulots, ce sont de très petits moucherons, dont la piqure est si vive ou plutôt si brûlante, qu’il semble qu’une petite étincelle est tombée sur la partie qu’ils ont piquée. Il y a des moufliques, ce sont des brulots, à cela près qu’ils sont encore plus petits, à peine les voit-on, ils attaquent particulièrement les yeux; il y a des guêpes, il y a des thons; il y a en un mot omne genus muscarum; mais on ne parlerait point des autres sans les maringouins.
«Ce petit animal a plus fait jurer depuis que les Français sont au Mississipi que l’on avait juré jusqu’alors dans tout le reste du monde. Quoi qu’il en soit, une bande de maringouins s’embarque le matin avec le voyageur; quand on passe à travers les saules ou près des cannes, comme il arrive presque toujours, une autre bande se jette avec fureur sur la pirogue, et ne la quitte point.
«Il faut faire continuellement l’exercice du mouchoir, ce qui ne les épouvante guère; ils font un petit vol, et reviennent sur le champ à l’attaque; le bras se lasse plutôt qu’eux. Quand on met à terre pour dîner depuis dix heures jusqu’à deux ou trois heures, c’est une armée entière qu’on a à combattre. On fait de la boucane, c’est-à-dire un grand feu, que l’on étouffe ensuite avec des feuilles vertes; il faut se mettre dans le fort de la fumée, si l’on veut éviter la persécution. Je ne sais lequel vaut mieux du remède ou du mal.
«Après dîner, on voudrait faire un petit sommeil au pied d’un arbre; le temps du repos se passe à lutter contre les maringouins. On se rembarque avec les maringouins; au soleil couchant, on met à terre, aussitôt il faut courir pour aller couper des cannes, du bois et des feuilles vertes, pour faire son baire [sic], la chaudière et la boucane, chacun y est pour soi.
«Alors ce n’est pas une armée, mais plusieurs armées que l’on a à combattre, c’est le temps des maringouins. On en est mangé, dévoré, ils entrent dans la bouche, les narines, le corps en est couvert; leur aiguillon pénètre l’habit, et laisse une marque rouge sur la chair qui enfle à ceux que ne sont pas encore faits à leurs piqures.
«Chicagon, pour faire comprendre à ceux de la nation la multitude des Français qu’il avait vus, leur disait qu’il y en avait autant dans le grand village (à Paris) que de feuilles sur les arbres et de maringouins dans les bois.
«Après avoir soupé à la hâte, on est dans l’impatience de s’ensevelir sous son baire, quoique l’on sache qu’on va y étouffer de chaleur; avec quelque adresse, quelque subtilité qu’on se glisse sous ce baire, on trouve toujours qu’il y en est entré quelques-uns, et il n’en faut qu’un ou deux pour passer une mauvaise nuit.
N’est-ce pas que cette lettre du père du Poisson est intéressante ?