L’homme d’un grand intérêt pour la musique et le chant
J’aime beaucoup Ernest Gagnon (1834-1915), guère connu malheureusement. La Ville de Québec lui a rendu hommage en apposant une épigraphe sur un des lieux où il a habité, au 14, rue Hébert, dans le Vieux-Québec.
Il a étudié le piano, fut compositeur, organiste, pédagogue, et même folkloriste, le premier de ce type au Québec. On lui doit l’ouvrage Chansons populaires du Canada, qui voulait démontrer la grandeur et la beauté des chants folkloriques québécois. Moi qui m’intéresse à l’histoire de la chanson, j’essaie d’attraper tout ce qui vient de lui en ce domaine. Vous trouverez sa biographie rédigée par Gordon Smith, de l’École de musique de l’Université Queen, à Kingston, en Ontario, dans le Dictionnaire biographique du Canada.
Sa fille Blanche (1867-1951) a été la première à entreprendre des recherches sur l’œuvre de son père. Elle a édité ses écrits et fait paraître Pages choisies, à Québec, en 1917, puis Nouvelles pages choisies, toujours à Québec, en 1925.
Dans ce dernier livre, on retrouve un compte rendu d’Ernest Gagnon du livre de Victor Huard, Labrador et Anticosti, un récit de voyage en goélette de ce naturaliste dans le golfe du Saint-Laurent.
Citant Huard, Gagnon écrit : «Écoutez comme il parle d’un nuit d’insomnie passée au fond d’une goélette».
«Telle fut cette nuit du 19 au 20 juillet. Au dehors, c’était beau. L’air était doux; au firmament scintillaient des milliers d’étoiles; la surface des eaux s’élevait et se creusait alternativement en longs et réguliers mouvements. Mais lorsqu’on est étendu dans les couchettes de la cabine, ce n’est plus cela ! La poésie que l’on goûtait tout à l’heure, sur le pont, a fait place à tout ce qu’il y a de plus prosaïque. À chaque instant on redoute de se voir projeter hors du lit. Les gémissements de la mâture et les claquements des cordages, violemment secoués par les brusques mouvements de l’embarcation; les coups de mer qui ne cessent de battre le flanc du vaisseau; c’est à faire croire qu’une épouvantable tempête s’est déchaînée, que les flots vont avoir vite raison de ce frêle navire, et que bientôt un triste naufrage, un trépas bien prématuré — hélas ! — va livrer notre dépouille mortelle à la voracité des monstres marins.
«Que n’est-on pas resté chez soi, dans son joli appartement à poursuivre ses chères études !… Adieu, les parents !… Adieu, les amis !… Adieu, le beau rosier de la fenêtre !… Adieu, le barbet favori qui devait, à notre retour, de son œil attendri et de sa queue frétillante, nous conter tant de choses !
«Je ne garantis pas que l’on soit encore éveillé quand l’imagination s’est mise en frais à ce point-là. Mais ce dont je me souviens et me souviendrai toujours, c’est du charme exquis que j’éprouvais, lorsque, de fois à autre, durant ces longues heures, m’arrivait le chant de l’homme de quart. Tout son répertoire y passa sans doute. Je ne comprenais pas un mot de ses chansons. Mais sa voix était douce, elle avait ces modulations particulières aux marins; et la mélancolie du rythme de ces romances populaires suffit à émouvoir toutes les fibres du cœur. À ce moment, c’était le signe de la sécurité : il y a quelqu’un qui veille pour nous : et tout va bien puisqu’il chante !»
Et Ernest Gagnon de rajouter ce commentaire au texte de Huard et de nous offrir en cadeau ce si beau mot du grand Châteaubriand :
«Ce dernier mot n’est-il pas délicieux ?
«Le pauvre chanteur nocturne saura-t-il jamais l’effet calmant qu’eurent ses douces mélopées ? Et qui sait les impressions diverses et opposées que celles-ci purent faire naître chez d’autres auditeurs dans cette même nuit ?
«Dans tous les pays, a dit, Châteaubriand, le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.»
Bonjour M. Provencher ! J’espère que vous allez bien.
Ma conjointe et moi partageons aussi une sorte d’affection pour Ernest Gagnon. Nous songeons même à publier un opuscule pour commémorer les 100 ans de son décès, en septembre 2015, si on en trouve les moyens.
L’oubli dans lequel Gagnon est resté plongé est bien malheureux. Ses écrits sont d’une lecture exquise, et nous lui devons tellement, sur le plan culturel, comme en témoigne à lui seul son ouvrage sur nos chants populaires, dont plusieurs nous semblent acquis depuis toujours alors que sans son travail, ces chants nous seraient restés inconnus. Et cela sans mentionner son oeuvre d’historien d’homme de lettres. Le personnage semblait avoir été très apprécié, même par ceux qui ne partageaient pas ses convictions plutôt ultramontaines, car contrairement à Tardivel son ami, il n’avait rien d’un fanatique hargneux ou d’acrimonieux. Ainsi, Louis Fréchette, Honoré Beaugrand, Arthur Buies et d’autres anticléricaux avaient des rapports somme toute cordiaux avec lui.
En tout cas, c’est toujours bon de glaner de temps en temps dans votre site ! Au plaisir.
Daniel Laprès
Merci beaucoup, cher Monsieur Laprès. J’aime beaucoup Ernest Gagnon. Il n’est pas assez célébré.