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Et voici que Nérée Beauchemin s’avance à son tour

Il est très rare qu’on retrouve dans la presse québécoise d’il y a 100 ans un texte de l’écrivain Nérée Beauchemin (1850-1931), originaire de Yamachiche. Le Franco-Canadien du 21 avril 1892 propose ici un de ses poèmes, Avril.

 

 

 

 

AVRIL

Est-ce l’avril ? Sur la colline,
Rossignole une voix câline,
De l’aube au soir
Est-ce le chant de la linotte ?
Est-ce une flûte ? Est-ce la note
Du merle noir ?

Malgré la bruine et la grêle,
Le virtuose à la voix frêle
Chante toujours,
Et sur mille tons recommence
La mélancolique romance
De ses amours.

Le chanteur, retour des Florides,
Du clair azur des ciels torrides.
Se souvenant
Dans les bras des hêtres en larmes,
Dit ses regrets et ses alarmes
À tout venant.

Surpris dans son vol par la neige,
Il redoute encore le cortège
Des noirs autans;
Et sa molle chanson touchante,
Soupire et jase, pleure et chante
En même temps.

Fuyez, nuages, giboulées,
Grêle, brouillards, après gelées
Vent boréal,
Fuyez ! La nature t’implore
Tardive et languissante aurore
De Floréal !

Aux reflets d’un ciel d’améthyste,
Au demi-jour, au charme triste
Des bois déserts,
Un rythme nouveau s’harmonise :
Doux rossignol, ta plainte exquise
Charme les airs.

Parfois, de sa voix la plus claire,
L’oiseau dont le chant s’accélère
Égrène un tril :
Dans ce vif éclat d’allégresse,
C’est vous qu’il rappelle et qu’il presse,
Beaux jours d’avril !

Déjà collines et vallées
Ont vu se fondre aux soleillées,
Neige et glaçons,
Et quand midi flambe, il s’élève
Des senteurs de gomme et de sève
Dans les buissons.

Quel souffle a mis ces teintes douces
Aux pointes des frileuses pousses ?
Quel sylphe peint,
De ce charmant vert véronèze
Les jeunes bourgeons du mélèze
Et du sapin ?

Sous les haleines réchauffées
Qui nous apportent ces bouffées
D’air moite et doux,
Il nous semble que tout renaisse.
On sent comme un flot de jeunesse
Couler en nous.

Tout était mort dans les futaies;
Voici, tout à coup, dans les haies,
Dans les sillons,
Du soleil, des oiseaux, des brises,
Plein le ciel, plein les forêts grises,
Plein les vallons.

Ce n’est plus une voix timide
Qui prélude dans l’air humide,
Sous les taillis,
C’est une aubade universelle;
On dirait que l’azur ruisselle
De gazouillis.

Devant ce renouveau des choses,
Je rêve des idylles roses.
Je vous revois,
Fraîches saisons, blondes années,
D’aurore et d’avril couronnées
Comme autrefois.

Et tandis que dans les clairières
Gazouillent les voix printanières,
En moi j’entends
Rossignoler la voix meurtrie,
La tant douce voix attendrie
De mes printemps.

Nérée Beauchemin

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