«Va, dis à mes amis que je me souviens d’eux»
Le 1er novembre 1885, âgé de 21 ans, mais déjà avec une plume vive, alerte, Charles-Marie Ducharme y va d‘une conférence sur Antoine Gérin-Lajoie à l’Union Catholique à Montréal. Voici comment il débute son propos :
Au fond d’un val, sous les ombrages,
Un voyageur s’en va marchant;
Une voix perce les feuillages,
C’est un air du pays, un doux et triste chant.
Benjamin Sulte
Le touriste qui fuit la cité, à la belle saison, pour respirer la brise fortifiante des montagnes, ou contempler de près les délicieuses coquetteries, les fresques verdoyantes, dont la nature se plaît à enjoliver les riants villages aux blanches maisonnettes qui se mirent dans le bleu Saint-Laurent, n’a pas été sans entendre, le soir sur le fleuve, le jour sous l’ombrage, une complainte bien connue, souvent répétée, mais qu’on entend toujours avec la plus vive émotion.
Mélancolique et touchante, cette naïve ballade, qui mêle sans cesse ses notes émouvantes aux murmures des flots et aux frizelis des feuillages, ne se distingue ni par ses mots à effet, ni par ses quatrains ronflants et sonores, ni par son respect pour l’alternation des rimes masculines et féminines.
Elle jouit pourtant d’une vogue incontestable, d’une popularité toujours croissante, entièrement due à son admirable simplicité, à son patriotisme entraînant, à son origine essentiellement canadienne et surtout à la fidélité avec laquelle elle répond à nos plus nobles aspirations : en nous unissant par la pensée à ceux de nos compatriotes que la fatalité éloigne du pays, et en ravivant chez ces derniers l’amour, le souvenir d’une patrie qu’ils ne peuvent jamais se résigner à oublier. En un mot, cette ballade a su remuer les cœurs, et c’est là la meilleure explication de son immense succès.
Mais quel est ce chant que les échos redisent à l’unisson, sur le sol canadien, comme sur le sol étranger; quel est celui qui, le premier, a fait entendre sa lyre, ces frémissements suaves et tristes, ces doux accords qui résonnent partout : au Canada comme en Europe, dans les sombres défilés des Montagnes Rocheuses comme sous les verts palmiers qui couronnent les rives du Nil ?
Cette complainte que vous devinez depuis longtemps; ce chant des canotiers du grand fleuve; cet hymne patriotique que l’on fredonne sans cesse en guidant son esquif loin du rivage, c’est : le Canadien errant, entonné pour la première fois par Antoine Gérin-Lajoie, sous le bocage avoisinant le Séminaire de Nicolet :
Si tu vois mon pays,
Mon pays malheureux,
Va, dis à mes amis
Que je me souviens d’eux.
O jours si pleins d’appas,
Vous êtes disparus…
Et mon pays, hélas !
Je ne le verrai plus.
Non, mais en expirant
O mon cher Canada !
Mon regard languissant
Vers toi se portera.
Ce texte est paru dans le livre de Charles-Marie Ducharme, Ris et Croquis, Montréal, Beauchemin, 1889, p. 98-101.
À mettre au dossier sur l’histoire de ce chant, Un Canadien errant.
vous aller m’faire brailler m.Provencher!
Cette chanson, si belle, cher Monsieur Gaudreault, est vraiment un patrimoine que nous a légué Antoine Gérin-Lajoie à nous Québécoises Québécois ! Et ici, Ducharme, s’avance vraiment au cœur de ce qu’elle est, montre bien en quoi elle est «immense».