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Hommage à la population de Québec

En février 1889, la grande cantatrice Emma Albani, de réputation internationale, s’amène à Québec pour deux concerts à la Salle de musique de la rue Saint-Louis. C’est l’emballement. L’écrivain Louis Fréchette y va d’un compte rendu dans La Patrie du 23 février 1889.

Quand on est Canadien, on ne meurt pas sans avoir entendu Albani. Oh ! comme la vibrante population de Québec a su comprendre cela !

J’ai vu des milliers d’hommes massés aux abords de la Salle de Musique, trop pauvres peut-être pour acheter leur billet d’admission — d’ailleurs la salle était bondée jusqu’au faîte — et qui restaient là dans la tempête pour mêler leurs hourrahs aux bravos qui retentissaient à l’intérieur.

— Oh ! me disait la grande diva les larmes aux yeux, je voudrais aller chanter dehors pour ces braves gens !

Québec a été sublime, tout simplement.

Jamais la bonne ville si gaie, si cordiale, si hospitalière, si intelligente, si artiste et si spontanée dans ses explosions d’enthousiasme, ne s’est montrée plus véritablement elle-même.

Tous les cœurs battaient; il y avait de l’émotion dans l’air.

Le premier concert avait été éclatant; le second fut délirant.

Je l’ai dit, pas un  pouce d’espace dans la salle qui ne fût occupé.

Et si vous aviez vu pleuvoir les bouquets, et tomber les corbeilles de roses !

Si vous aviez entendu les acclamations sans fin !

Si vous aviez vu cette masse compacte, debout, les mouchoirs à la main, les bras tendus vers la scène, où la diva, après quatre ou cinq rappels consécutifs, émue, tremblante, étourdie, trébuchant presque parmi les fleurs, la tête rayonnante dans les affolements de l’ovation, saluait jusqu’à terre, et envoyait des baisers d’enfant radieuse au parterre, aux loges, et jusque dans les profondeurs de la salle !

On était électrisé.

On frappait des mains, on criait, on pleurait.

Ces choses-là ne se voient qu’une fois dans la vie, me disait quelqu’un en sortant.

Et il avait trente-six fois raison.

Il faut ajouter que la société de Québec possède un cachet tout particulier d’élévation.

Je ne sais si cela tient à la beauté exceptionnelle des femmes, à la grâce de leurs manières, au bon goût de leur mise, à leur charmant laisser-aller qui fait encore ressortir leur exquise distinction; mais quand on met le pied dans un salon de Québec — même chez certaines familles peu favorisées sous le rapport de la fortune — on croirait pénétrer sous les portières du faubourg Saint-Germain.

C’est dire que le parterre de la Salle de Musique, quand il, veut s’en donner la peine, n’a pas grand’chose à envier aux brillantes avant-scènes de Paris.

Et, ce soir-là, il s’en était donné la peine; il s’était même mis en frais.

Quel ravissant coup d’œil !

O mon bon vieux Québec, comme j’étais fier de toi !

Et quel bonheur pour un artiste de se sentir apprécié et compris !

Quel paiement, quelle compensation pour les déboires du passé, pour l’anxiété des premiers pas, pour les rudes labeurs de la carrière !

Aussi faisait-il bon d’entendre la grande artiste s’écrier en nous pressant les deux mains :

Je suis heureuse, heureuse, heureuse !…

 

Sur Emma Albani, voir aussi cet article.

L’illustration montrant des travailleurs occupés au bétonnage d’une rue à Québec vers 1940 provient du Service du greffe et des archives de la ville de Québec.

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