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Retour sur Alphonse Lusignan, grand Québécois

Alphonse Lusignan fut une l’un des trois personnages les plus importants de la vie intellectuelle québécoise du dernier tiers du 19e siècle, avec Arthur Buies et Louis Fréchette. Nous en avons bien peu parlé au 20e siècle comme s’il avait échappé à l’histoire.

Avocat de formation, il fut beaucoup journaliste et a toujours eu un grand souci de la qualité de la langue française au Québec. Il a fait paraître de nombreux textes dans le quotidien montréalais La Patrie, propriété d’Honoré Beaugrand, l’auteur de la chasse-galerie. Lui-même patriote, son grand-père avait été tué à la bataille de Saint-Denis et son père, blessé, lors de la rébellion de 1837-1838.

Lusignan décède au début de janvier 1892. Nous l’avions souligné au moment où déjà nous lui rendions hommage l’an passé. Voilà qu’ici c’est l’écrivain Louis Fréchette qui célèbre sa mémoire à son tour, onze jours après son décès, dans La Patrie du 16 janvier 1892. Extraits.

 

C’était l’ami !

L’ami comme on n’en rencontre pas trois fois dans son existence.

L’ami toujours franc, toujours bon, toujours fidèle, qui ne compte pas avec vous, et sur qui vous pouvez toujours compter, dans l’âme de qui vous pouvez lire comme dans un livre ouvert, avec qui vous n’avez jamais besoin d’explications, qui vous comprend mieux que vous-même, dont le sourire vous enorgueillit plus qu’un succès, et dont un simple serrement de main vaut, quand le cœur est blessé, tous les sursum corda du monde [….]

C’était là une de ces amitiés vraies, pour lesquelles vos joies sont des triomphes et vos chagrins des catastrophes; qui ensoleillent vos jours de folle jeunesse et répandent je ne sais quelle sérénité sur votre âge mûr; qui sont toujours là pour vous donner la dernière poignée de main au départ, et la première au retour. […]

Il était physiquement et dans ses manières ce qu’il a toujours été comme écrivain : un mélange de je ne sais quelle rudesse affectée, avec un charme indéfinissable de tendresse et de bonhommie qui lui gagnait les cœurs. […]

Il étudiait la langue, fouillait les bouquins, feuilletait les philologues, et empilait des extraits qui seront une mine pour les travailleurs de demain.

Moins de douze heures avant sa mort, il appelait sa fille et lui faisait prendre en note deux mots qu’il venait de trouver dans un journal parisien, avec prière de constater l’acception spéciale qu’il croyait leur découvrir.

Ainsi, en fait de langue française — mes confrères ne m’en voudront pas de le proclamer ici — c’était notre maître à tous. […]

Mais sa grande valeur comme linguiste n’était pas encore ce qu’il y avait de plus remarquable chez Lusignan considéré comme écrivain; c’était son incomparable dextérité de style.

On peut être plus chaleureux, plus doré, plus puissant; on n’est pas plus habile. Il jonglait avec la phrase comme un prestidigitateur japonais avec ses disques et ses boules de cuivre.

Son style coulait de source, balancé, miroitant à pleins bords, sans trace de fatigue, avec juste assez de heurts pour briser la monotonie et accentuer la valeur des tonalités.

Et comme la note sincère vibrait sous le réseau des variations savantes !

Comme le léger tremblement de l’émotion contenue se laissait bien deviner plutôt qu’entrevoir sous le tissu des formules, drapé quelquefois d’une façon plus ou moins fantasque !

Tout ceux qui savent un peu ce que c’est que d’écrire le français le diront comme moi, il n’a manqué à Lusignan que le milieu pour devenir un maître. […]

Pas un écrivain canadien, je crois, n’a été lu plus assidûment que Lusignan. Ses bluettes les plus légères, les plus capricieuses fantaisies de son imagination, ses boutades même étaient goutées, savourées, dégustées jusqu’au bout. […]

On conserve encore vivace le souvenir de la campagne qu’il mena le lendemain des élections de 1867, contre l’intervention indue du clergé dans notre politique.

Trois mois durant, seul contre tous, comme un preux des anciens jours, il revendiqua les droits du citoyen libre, contre les abus — trop nombreux alors — commis au nom de la religion mal comprise. […]

Comme c’est court tout de même une vie ! […]

Ce n’est pas de toi qu’on peut dire : les morts vont vite.

Au moment même où j’écris ces lignes, solitaire et plongé dans le silence de la nuit, comme toi dans la paix du tombeau, je te sens près de moi, qui mets la main sur mon genou, qui lis par-dessus mon épaule, et qui me dis avec cette émotion dissimulée dont je viens de parler :

— Blagueur, va ! parlons d’autres choses !

Et, pendant qu’une grosse larme tombe sur mon feuillet noirci, je te réponds :

— Oui, mon vieux, tu as raison, parlons d’autre chose !

Louis Fréchette.

 

Alphonse Lusignan a publié de nombreuses chroniques dans la presse québécoise de son temps. Un jour, il nous faudra bien procéder à une recension du plus grand nombre de ses textes, puis imaginer la création d’un site internet à son nom où apparaîtraient ses écrits. Pour enrichir la mémoire collective. Et ce serait le re-sortir du vaste anonymat où il repose présentement.

Source de l’illustration : le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à l’adresse http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/illustrations/accueil.htm, au descripteur «Lusignan, Alphonse, 1843-1892». Il s’agit d’un portrait de Lusignan paru dans Le Monde illustré du 22 septembre 1900.

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