Poète à la vue du Passerin indigo
J’aime beaucoup le naturaliste James MacPherson Le Moine (1825-1912). Manifestement indépendant de fortune, il emménage en 1860 à Spencer Grange, une villa construite au cœur d’un domaine d’une quarantaine d’acres à Sillery. Ce lieu va devenir un refuge de paix et un riche lieu d’observation de la nature.
Ici, voici James poète, dans le journal Le Canadien du 17 janvier 1891, à la vue du Passerin indigo (Passerina cyanea, Indigo Bunting), un oiseau rare et fort discret que je n’ai vu chez moi qu’à une dizaine de reprises depuis près de 40 ans.
L’Oiseau Bleu — Scène d’été
J’ai souvenance, une belle matinée de juillet, d’être descendu dans mon jardin, au moment où l’aurore de ses premiers feux illuminait les cimes altières de mes grands chênes. Au milieu d’un parterre de fraises, était un vieux pommier chargé de fruits et de feuilles, et cher à mes enfants [Le Moine eut deux filles] pour avoir abrité le berceau de plusieurs générations de rouges-gorges (merles).
Un couple de ces aimables oiseaux en avait alors choisi la fourche hospitalière pour y placer leur nid : là, sur du fin foin et des mousses pétries de boue, reposaient, doux espoirs de la future couvée, quatre émeraudes. Mes yeux s’y portèrent, comme par instinct.
La femelle était à son poste, l’œil vigilant; le mâle perché à la cime d’un grand orme voisin, l’orgueil de Spencer Grange, roucoulait à sa compagne l’une de ses canzonettes les plus tendres. Près du pommier croissait un tournesol (1), dont la corolle amoureusement penchée vers l’astre du jour, laissait épanouir une fleur orange, au milieu d’une frange de verdure. À l’extrémité de chaque feuille, étincelaient, comme des saphirs, d’innombrables gouttelettes de rosée; au centre du tournesol, se balançait une ravissante petite créature, dont la poitrine et les ailes azurées, se détachant de l’acanthe et du vert tendre, miroitaient aux rayons du soleil levant; le petit maestro me salua de quelques roulades mélodieuses, puis s’envola.
J’étais ravi de tant de splendeur : ce spectacle que peut-être il ne me sera jamais donné de revoir, avec une telle mise en scène, m’éblouit par sa magnificence, par la variété et l’harmonie de ses contrastes.
Était-ce, me demandai-je, la réalité ou bien une scène féérique des Mille et une nuits ?
Aurais-je dû m’écrier, comme jadis Aristophane (2) : «Cher oiseau, ne perds pas de temps, je t’en supplie; va tout de suite dans ton taillis réveiller Pragné ! Que l’hymne sacré jaillisse de ton gosier en mélodieux soupirs; roules en légères cadences tes fraîches mélodies.»
Ce n’était pas une vision de fée qu’il m’était donné de voir, mais simplement l’oiseau bleu (3) du Canada, dans tout l’éclat de sa livrée printanière, de son costume nuptial.
Spencer Grange, Sillery, près Québec.
J.-M. LeMoine.
(1) L’héliante.
(2) Aristophane — Les Oiseaux.
(3) Passerina cyanea — Indigo Bird.
Tout en haut, le Passerin indigo est une création du sculpteur Andy Dean, de Port-Joli, en Nouvelle-Écosse.
Voici le chant du Passerin indigo.