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Bonhomme Noël

Un texte du poète, romancier et auteur dramatique français Jean Richepin (1849-1926). Il est certain qu’on n’écrit plus comme cela aujourd’hui, car le commerce est passé et repassé sur le bonhomme Noël tout au long du 20e siècle, et continue d’ailleurs. Mais il n’empêche. Ne sommes-nous pas le 24 décembre, bonhomme Noël ?

Bonhomme Noël, bonhomme Noël, moi aussi je vous ai connu ! Et quiconque eût essayé de me prouver que vous n’existiez pas, je l’aurais de bonne foi appelé menteur. Car rien ne pouvait prévaloir contre le témoignage de mes yeux, qui vous avaient vu.

Dès le commencement de décembre, vous me rendiez visite toutes les nuits; vous aviez une grande barbe blanche, en flocons de neige, des regards bleus très doux, une robe couleur d’air, et les bras chargés de jouets. Parmi ces jouets, je choisissais ceux de mon désir. Et, la nuit du réveillon venue, c’est précisément ceux-là que vous mettiez sur mes petits souliers posés dans la cendre.

Vous faisiez la chose sans bruit, pour ne pas troubler mon sommeil. Vous pensiez, en effet, que j’étais profondément endormi. Mais je suis bien sûr, sûr, moi, que je ne l’étais point. En vérité, je ne vous aurais pas contemplé aussi distinctement, si je n’avais pas eu les yeux grands ouverts dans l’ombre. Oh! comme je vous voyais bien, bonhomme Noël.

Bonhomme Noël, bonhomme Noël, c’est pourtant votre faute si je suis devenu incrédule ! Vous avez été trop bon, et vous ne vous êtes pas aperçu que je grandissais.

Comme ils dorment profondément ! Chut ! ne faisons pas de bruit ! Que demain ils s’imaginent n’avoir point dormi, tant ils auront vu distinctement votre bonne figure !

Hélas ! bientôt l’heure aura sonné pour eux de n’être plus des enfants. Déjà l’ainé m’assure avoir entendu, l’année dernière, crier le parquet : «Père, père, c’est donc toi le bonhomme Noël ?» Puissé-je le tromper encore ! et puisse-t-il longtemps, bien longtemps, cueillir les fleurs divines du rêve, et croire fermement qu’il vous a vu de ses yeux, bonhomme Noël !

Bonhomme Noël, bonhomme Noël, qui a cru en vous y croira toujours un peu, et sa vie ainsi ne sera pas morne. Il aura pris le goût du rêve. Après les jouets, il aura chéri les belles illusions : la gloire, l’amour ! Et même s’il eût été trompé par elles, toujours il se souviendra des extases qu’il a connues rien qu’à les désirer. Aussi ne cherchera-t-il pas à en dégoûter les autres : il trouvera plutôt son bonheur à tâcher de redevenir enfant pour en jouir encore avec eux.

N’est-ce pas là ce que nous faisons en réalité, poètes, chasseurs de l’idéal, inventeurs du progrès, philosophes, tous tant que nous sommes, qui courons après des chimères pour les adorer ?

Et maudit soit celui qui vient nous dire que les chimères n’existent pas ! Car, sans elles, à quoi bon vivre ! Mais, d’ailleurs, elles existent. Chacun voit la sienne, et la voit de ses yeux, comme tous les enfants vous verront toujours, espérons-le, ô bon donneur de jouets désirés, ô vous que le plus sceptique fait ressusciter pour ses petits quand il devient père, bonhomme Noël, bonhomme Noël.

Source : La Tribune, 29 décembre 1893.

L’illustration vient de la revue Le Passe-temps, 4 janvier 1902.

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