Disparition de Zagui le vagabond
Peut-être vous souvenez-vous de Zagui. La Patrie du 21 novembre 1895 en parlait. Et voilà que L’Écho des Bois-Francs, l’hebdomadaire d’Arthabaska, y va d’un texte à son sujet le 30 novembre 1895.
Un excentrique vagabond bien connu de tous les Bois Francs, et que Fréchette n’aurait pas désavoué dans des «Originaux et détraqués», vient de mourir à l’asile de Beauport.
Nous voulons parler de Isaïe, ou plutôt Zagui Fecteau, comme tout le monde l’appelait.
Quel est le forgeron ou le cordonnier des Bois-Francs, et même de toute la région sud de la province, qui n’ait reçu, au moins une fois, la visite de Zagui ? visite qui chez les premiers se terminait invariablement par l’interpellation : «En as-tu encore des vieux tabliers ?»
Le drôle collectionnait cet apanage en cuir que portent tous les ouvriers en fer, puis, grâce aux bouts de ligneul et de babiche qu’il ramassait ça et là chez les disciples de St Crépin, s’en confectionnait des mitaines.
C’était son «tic».
Offrir à Isaïe un morceau de cuir vierge était perdre son temps. Lui cacher ou lui soustraire ses mitaines était injure suprême. Plus d’un cependant s’est rendu coupable de ce délit, après l’accomplissement duquel on avait coutume de demander à la pauvre victime : «Combien as-tu vendu tes mitaines, Zagui ?» et Zagui, qui était bègue, de répondre invariablement : «Mais, mais, mais, ils ont faite le marché tous ceux.»
Quoique doué d’un physique robuste, Zagui professait pour toute œuvre servile une monumentale horreur; il eut préféré vagabonder une nuit entière par une pluie battante que d’accepter une hospitalité qu’il lui aurait fallu solder par dix minutes de travail.
On prétend que c’est à la suite d’une corvée faite au profit d’un particulier de St-Nicholas, comté de Lévis, que Fecteau avait résolu de se soustraire à la loi du travail, attendu que, pour une raison ou pour une autre, son patron avait refusé de le payer.
Zagui avait juré de ne plus travailler et il a fidèlement tenu sa promesse.
Dès sa tendre jeunesse, c’est-à-dire depuis qu’il avait désavoué le travail, oncques a-t-il été vu exécuter le moindre labeur manuel.
Était-on fatigué de sa présence, on avait qu’à insinuer au pauvre homme qu’il devrait bientôt prêter main-forte aux ouvriers pour une tâche quelconque, et aussitôt Isaïe s’éclipsait pour élire domicile ailleurs.
Isaïe aimait assister aux enterrements et faisait quelquefois des trentaines de lieues à pied pour s’y rendre…… en retard, naturellement.
Il était aussi excellent messager, et souventes fois l’a-t-on fait parcourir des distances énormes pour lui faire remettre à un individu quelconque une lettre ou un chiffon insignifiant.
Autre particularité : cet original portait habituellement un bâton ferré qui lui venait aux oreilles — plus court ou plus long, ne faisait pas — et gare aux mauvais plaisants qui soumettaient à une trop rude épreuve la patience du pauvre diable.
Il y a quatre ans, le malheureux détraqué se «vira à la malice», pour nous servir d’une expression de terroir, et dût être interné à l’asile de Beauport, où il vient de finir sa carrière, longue de soixante et quelques années.
Que son âme repose maintenant en paix.
L’œuvre ci-haut est une création du sculpteur Émile Bluteau, de Wickham. Il me disait avoir voulu sculpter son père, car celui-ci s’habillait ainsi.