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Galette madame !

Il fut un temps où un marchand ambulant de galettes était fort aimé à Montréal. L’avocat et archiviste Édouard-Zotique Massicotte parle de ce personnage dans L’Album illustré du 8 novembre 1890.

Dans les métiers, comme dans le commerce, comme tous les arts, il arrive que des individus supérieurement doués, pour le genre de travail qu’ils ont adopté, dépassent bientôt leurs confrères et savent tenir le haut du pavé. Hélas ! rien n’est stable en ce monde. En voici un exemple.

Il y a quelques années, sans avoir averti les citadins, passa dans les rues de notre ville un individu qui fit fureur dès le moment de son apparition. Pourtant, rien, ni dans son extérieur, ni dans ses habitudes, n’avait jusqu’alors annoncé ce phénomène.

Cependant, par un cri, lancé d’une manière à lui seul, entremêlé de farces plus ou moins polies, mais toujours à propos, cet homme fit sortir Montréal de ses gonds. Sur son passage, les enfants pullulaient, les femmes ouvraient leurs fenêtres avec fracas, les hommes accouraient aux portes. Pas un ne voulait ne pas voir celui qui dans un jour, au chant de : Galette, galette, galette, s’était fait une popularité digne d’un gouverneur anglais.

Sa voix était si sympathique, ses intonations si heureuses, ses paroles tellement appropriées au goût de la populace, qu’il vendait, vendait, vendait. Il fut prêt de faire fortune. Tous voulaient des galettes.

Juché sur une petite express attelée d’une rossinante paisible, qui contrastait étrangement avec les allures vives du maître, notre homme, avec des allures de tribun populaire, débitait sa marchandise en parlant continuellement :

Galette, galette, galette
Bonne galette au beurre
Pas trop d’beurr’ dedans.
Le beurr’ a passé au travers
De la tinette
Pour rejoindre la galette…
Galette, galettes, madame,
Troisse pour cinq cennes.

Puis il continuait, mêlant la politique et les affaires publiques, saupoudrant le tout de propos plus ou moins scabreux, il eut une vogue phénoménale.

Bientôt il crut qu’il lui était permis de dire ce qu’il voulait.

Tous les moyens lui apparaissaient bons pour attirer l’attention, faire esclaffer les gens et vendre des bonnes galettes.

Mais il était du monde où les plus belles choses ont le pire destin; un jour, tout croula, notre type même s’évanouit.

Plusieurs années s’écoulèrent sans plus en entendre parler. Il y a quelque temps, il est reparu sur la scène, vendant de la poésie et de la prose composées par lui.

Quelle chute, grand Dieu ! Quel exemple terrifiant pour vous, humains !

Si passant par votre ville, vous voyez un petit homme à barbe inculte et noire, marchant dans le rue suivi d’un auditoire enfantin, récitant recto tono des contrats de mariage, tenant dans une main une liasse de papiers qu’il vous offre pour cinq centins l’unité, chapeau bas messieurs, vous êtes en présence de Galette madame !

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