La foire aux chevaux à Québec
Avant la construction de la gare du Palais à Québec, on tenait chaque année, sur cet emplacement, au début de novembre, la foire aux chevaux. C’était là un jour dans l’année qui ne donnait pas une bien belle idée de la relation de la bête à deux pattes avec celle à quatre pattes. Mais, à chaque fois, on dirait que les journalistes s’amusent de l’événement, plutôt que de le dénoncer. Voici le témoignage de l’employé du Canadien, le quotidien de Québec, du 5 novembre 1888.
La foire aux chevaux a eu lieu vendredi au Palais, où une animation extraordinaire a régné toute la journée. Cet événement si impatiemment attendu par une certaine classe d’hommes, a attiré au marché du Palais un grand nombre de personnes et surtout beaucoup de badauds et de camelots ou peddlars.
Il était vraiment comique de voir ces vieux chevaux de toute couleur, efflanqués, les uns surchargés de quatre lustres, la mine renfrognée, la tête basse et semblant avoir fait le sacrifice de leur vie; les autres, malgré leur grand âge, conservant un certain air de jeunesse et vous lançant encore avec agilité une ruade vraiment digne d’un cheval dans toute la vigueur de l’âge; d’autres, jeunes encore, mais portant dans tout leur être l’empreinte d’une vieillesse prématurée, causée par la mauvaise fortune ou leur mauvaise étoile qui les avaient fait tomber en de cruelles mains.
Il y avait donc là des chevaux de tout âge et de tout prix : haridelles de deux, cinq et dix piastres, les unes vendues rubis sur l’ongle, d’autres troquées pour de vieilles montres dont étaient abondamment pourvus les camelots, échangées de nouveau, revendues, rachetées et passant quelquefois entre les mains du même homme trois ou quatre fois.
C’est dire que les maquignons s’en sont donnés à cœur joie et ont passé une agréable journée. Il fallait les entendre vanter leur marchandise et engager les acheteurs à faire de suite sur place l’épreuve d’une rosse quelconque. Il se passait alors une comédie vraiment navrante. La pauvre bête, dont les os perçaient presque la peau et qui semblait n’avoir mangé toute sa vie que des cercles de quart, était attelée à un véhicule sans nom, et houspillée par quelques bons coups de fouet qui zébraient sa peau; elle prenait courageusement son élan, battant le pavé des quatre pieds à la fois, et vaincue par cet effort suprême, elle s’arrêtait court et flageolait sur ses jambes.
L’un de ces chevaux s’est venu 75 sous, soit le prix de la peau et des fers.
Cependant, il s’y est fait d’assez bons échanges et plusieurs cultivateurs en ont profité pour se procurer de vieux chevaux, afin de faire leurs labours.