Témoignage pour une histoire de Trois-Rivières
Dans L’Album universel du 26 août 1905, voici que le chroniqueur Jules Sanscartier nous fait faire une visite de ma ville natale, à mi-chemin entre Montréal et Québec, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent
Comme son nom l’indique, la ville de Trois-Rivières se trouve située au point de jonction de trois cours d’eau, le Saint-Laurent et les deux branches terminales de la rivière Saint-Maurice.
Du premier, l’on ne saurait rien dire qui en soit déjà universellement connu. Le Saint-Maurice, qui est l’un de ses principaux tributaires, figure au premier rang parmi les plus importantes voies de communications fluviales du territoire canadien. Il pénètre au plus profond des régions septentrionales de la province de Québec, et sa navigation sur une partie considérable de son cours en fait un précieux auxiliaire naturel pour le développement des industries de tous genres établis sur ses rives.
Trois-Rivières compte aujourd’hui une population de plus de douze milles âmes.
«Située comme elle l’est, dit M. J. B. Meilleur Barthe, dans l’excellente étude géographique illustrée qu’il a publiée tout dernièrement, entre Montréal et Québec, deux centres puissants qui ont attiré à eux tout le commerce florissant, au détriment de la cité trifluvienne, cette dernière ne devait songer qu’à l’exploitation de la région riche et abondante du Saint-Maurice pour prospérer à son tour. De fait, les scieries immenses de cette ville font son orgueil en même temps que sa richesse, et plusieurs milliers de familles y trouvent leur pain quotidien. Outre le commerce de bois, les manufactures de toutes sortes sont en grand nombre et emploient une bonne partie de la population.
Citons-en quelques-unes : Three-Rivers Tool and Axes Works, Gélinas et Piché, pelles, chaises, etc.; Lymburner, voitures; J. N. Godin et Cie, biscuits et bonbons; Balcer Gloves Co., qui a obtenu une médaille d’or à l’exposition de Paris; Three-Rivers Plaining Mills, Baptist Plaining Mills; les florissantes scieries Baptist, St. Maurice Lumber Co., Warren Curtis, Union Bag Co., Burret Co., Tibbutt Bros, dans la chaussure; Girard et Godin, cercueils, Montreal Pipe Foundry, trois tanneries, Fonderie Bellefeuille, etc., etc. Reliée par voies de bateaux et de chemins de fer aux grands centres et aux différentes paroisses avoisinantes, Trois-Rivières reçoit tous les jours l’affluence des étrangers qui fréquentent ses marchés et ses places publiques. Les grands travaux, qui ont, depuis quelques années, transformé le pays en arrière de la ville par l’exploitation des inépuisables pouvoirs d’eau des chutes de Grand’Mère et de Shawinigan, ont aussi produit un effet considérable sur le commerce local.»
Et de fait, en parcourant la ville, le visiteur est agréablement surpris par l’aspect de rues larges et soigneusement entretenues, bordées de magasins à la dernière mode et d’habitations privées d’une coquetterie et d’une élégance vraiment remarquables. Les constructions tendent à se développer surtout sur la rive sud du Saint-Maurice, le long de l’immense nappe d’eau miroitante où descendent lentement les billots, bientôt capturés dans les barrages du confluent d’où ils sont amenés au fur et à mesure vers les scieries ou vers les pulperies qui bordent le fleuve. […]
Voilà pour le côté descriptif de la cité. Que dire maintenant de la vie en elle-même qui l’anime sinon qu’elle présente tout ce que peut souhaiter le plus difficile dans les détails de son existence privée, et le plus blasé dans le choix des saines et réconfortantes distractions ?
La ville de Trois-Rivières est sans contredit, et de l’avis de nombreux touristes qui la visitent chaque année, l’un des sites les plus agréables que l’on puisse choisir pour y passer l’été. Ses parcs, très fréquentés, en particulier ceux du Plateau Laviolette, Vanasse et Champlain, sont le rendez-vous de tout ce que la partie médiane de la province de Québec compte de mondanités et d’élégances. Les arts ne sont pas non plus négligés, et chaque semaine une élégante fanfare, sous la direction d’un musicien bien connu, M. Henri Lavigne, exécute des programmes d’un goût parfait.
En dehors des jardins publics de l’intérieur, il nous faut encore mentionner, et non parmi les moindres, l’admirable promenade du boulevard Turcotte, aux délicieux et frais ombrages, qui s’étend depuis le débarcadère jusqu’à l’extrémité ouest de la ville.
Située sur le bord du Saint-Laurent, elle embrasse un immense horizon de plusieurs milles d’étendue sur le grand fleuve et jusqu’à l’embouchure du Saint-Maurice. Le promontoire qui la termine sert de terrain aux expositions annuelles, terrain bien choisi s’il en fût, car la disposition en échelons des édifices qui la couvrent en fait un modèle du genre.
Nous ne saurions mieux terminer l’énumération des attraits de la ville de Trois-Rivières qu’en consacrant quelques lignes au rendez-vous favori des Trifluviens durant la belle saison, la délicieuse et fraîche oasis qui a nom «Villa Mon Repos».
C’est une propriété d’environ quinze arpents de superficie, boisée sur la presque totalité de son étendue, et située à environ deux milles au nord-ouest de Trois-Rivières. Elle appartient à un club composé de quarante membres élus à vie et recrutés parmi l’élite de la société. L’on dirait une véritable forêt en miniature; les principales essences arborifères du Canada s’y rencontrent, et les prairies y sont parsemées des plus gracieux spécimens des petites plantes indigènes. Une rivière, elle aussi en miniature, la Millette, la traverse dans toute sa longueur; une digue construite à l’extrémité du terrain retient une partie de ses eaux et forme un étang aux reflets purs et argentés. Des chalets de formes diverses s’élèvent sur ses rives, reliées au nord par un pont suspendu, la «passerelle Tarentule», d’un effet charmant.
Les images de la Villa Mon Repos furent publiées dans Le Monde illustré du 28 juillet 1900. Elles apparaissent sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec au descripteur «Trois-Rivières (Québec)».