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Une visite de la réserve indienne de Caughnawaga (Kanawaké)

Le 22 juillet 1905, Jules Maureault, «empruntant la plume avisée d’un Français, M. G. Du Boscq de Beaumont», habitant la Normandie, propose dans L’Album universel une visite de Caughnawaga.

La principale curiosité des environs de Montréal est le village de Caughnawaga, ou du Sault Saint-Louis, situé au bord du Saint-Laurent, près des rapides de Lachine. À l’encontre des Hurons de Lorette, qui furent toujours, pour nous, de fidèles alliés, les Iroquois de Caughnawaga, au nombre d’environ 2,000, ont toujours pris parti pour les Anglais.

La réserve au milieu de laquelle se trouve leur village est une immense prairie parsemée de pierrailles et de buissons rabougris, entre lesquels pâture le bétail; de la gare au village, dont on voit de loin l’église et son clocher pointu, il y a environ vingt minutes de marche par le plus défoncé des chemins. Les maisons sont de véritables «cottages» entourés de jardinets fort bien cultivés; l’ensemble indique l’aisance, et maint détail d’intérieur dénote une grande préoccupation du confort.

Sauf la couleur et quelques traits de physionomie que les métissages finiront sans doute par effacer, ces Iroquois ont conservé bien peu de leurs sauvages ancêtres; l’ivresse, chez eux, seule est redoutable, car elle réveille l’atavique Inconscient que, depuis deux cents ans, tous les efforts du clergé catholique n’ont pu qu’assoupir.

Monsieur l’abbé Forbes, le très distingué missionnaire du Sault Saint-Louis, que j’eus la bonne fortune de rencontrer au presbytère, voulut bien me proposer de visiter avec lui quelques-uns de ses paroissiens, et nous fîmes le tour du village, en nous arrêtant de temps à autre pour causer avec les Indiens, sur le pas des portes.

Bien que leur type soit fortement altéré par les croisements, et qu’on ne puisse affirmer qu’il existe maintenant un seul Iroquois pur sang à Caughnawaga, il est cependant facile de voir qu’ils diffèrent beaucoup des Micmacs; ces derniers, de même que les Abénaquis et les Montagnais, semblent appartenir à la race polynéso-malaise, dont ils ont la face plate et la structure un peu grêle, tandis que les Hurons et les Iroquois, avec leur nez en bec d’aigle et leurs lèvres charnues, ont l’air de Turcs ou de Sémites. Ils paraissent être des Touraniens, sont généralement grands et bien faits, et ont, en vieillissant, une tendance à l’embonpoint.

La jeune génération laisse pousser sa barbe, d’ordinaire peu fournie, mais quelques vieux, rasés, ont conservé l’aspect des héros légendaires de Fennimore Cooper.

Le premier chez lequel nous entrâmes était un vieillard à grands traits réguliers couleur de cuivre rouge; lui ayant demandé s’il parlait français, il répondit :

Un p’tit brin.

La glace était rompue ; ce sauvage parlait bas-normand ! Le mystère s’éclaircit d’ailleurs, quand parut sa femme, une vieille Canadienne qu’au temps de leurs épousailles il ne comprenait pas. Les ayant priés de m’expliquer la façon dont, au début, ils s’y étaient pris pour s’entendre, la bonne mère, souriant, s’écria :

Eh dam ! on s’entergârdait…

Comme nous exprimions alors le désir de photographier le bonhomme, ce dernier fit, de la main, signe d’attendre une seconde, puis, allant à un coffre, il en retira soigneusement quelques oripeaux dont la vue fit hausser, de pitié, les épaules de sa femme, qui parut, «in petto», le traiter de vieux fou. Passant ensuite dans un cabinet, il en ressortit, quelques instants après, vêtu d’un grand costume de guerre que la tribu portait encore, les jours de fête, au temps de sa jeunesse; Baptiste, le paysan bonasse de tout à l’heure, avait disparu, l’expression du visage était toute changée, solennelle et triste; devant nous, se dressait, drapé de majesté, un sachem iroquois des âges héroïques, Oronhyatekha : «l’Horizon-Embrasé».

Je vais ensuite acheter, à titre de souvenirs, quelques échantillons de l’industrie locale, dans le magasin de M. de La Ronde-Thibaudière, Iroquois notable et descendant authentique d’une longue lignée d’officiers français qui jouèrent un rôle glorieux en Acadie et au Canada. Son élégante villa est du dernier confort : piano, lits d’acajou, armoires à glaces, suspension dans la salle à manger, baignoires, rien n’y manque; on se croirait à Asnières; mais madame de La Ronde ne comprend que l’iroquois, et mes compliments se bornent à une série de courbettes que je m’efforce de rendre gracieuses — on fait ce qu’on peut.

Dans les rues du village, des «Squaws» vont et viennent, la tête drapée dans leur châle, à la façon des Espagnoles; quelques jeunes filles que je rencontre sont presque jolies, l’une d’elles a le type mongol très accentué.

Des métis blonds nous saluent au passage; malgré leur aspect européen, ce ne sont pas, paraît-il, les moins attachés aux privilèges de la «bande» dans laquelle ils sont nés : ces faces pâles ont le cœur sauvage, suivant la pittoresque expression de mon guide, et plus qu’ailleurs, là-bas, où tant de races adverses tendent à se confondre, la teinte du visage n’est pas toujours un reflet de la couleur de l’âme.

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