Par cette grande chaleur, pourquoi pas le parc de Westmount ?
Allez, une suggestion de celui qui signe Jean Rivard dans L’Album universel du 8 juillet 1905. Il titre son article «Le joli parc public de Westmount».
Par ces journées d’atroces chaleurs, si vous disposez, ne serait-ce que de deux heures de loisir, (suivez mon conseil désintéressé) allez les passer sous les frais ombrages du parc de Westmount.
Certes, vous ne regretterez pas de m’avoir écouté, et vous retournerez chez vous l’esprit reposé et content d’avoir vécu quelques instants en une riante campagne, tout en étant resté au milieu d’une très coquette petite ville.
Car un des grands avantages de ceci, c’est que Westmount n’est pas loin; puisque c’est tout bonnement la continuation de Montréal, quoi que ce soit une municipalité à part, dont le maire, Monsieur Cross, a raison d’être fier.
Rien de plus facile que de se rendre dans cette banlieue : on monte, n’importe où, dans une des voitures de la «Montreal Street Railway», et, en moins d’une heure, quelquefois après un tout petit quart d’heure, ou encore moins, quand on entend le conducteur crier : Avenue Elgin, parc Westmount, on descend.
Alors commence l’enchantement, même pour ceux qui, ayant couru le monde, ont vu les merveilleux jardins publics de Paris, de Londres, de New-York, de San Francisco, de Rio de Janeiro, etc.
Ce n’est pas que le parc de Westmount puisse être comparé, en étendue, aux énormes parcs publics des villes désignées. Non, il n’a guère plus de 50 à 60 acres. Mais, comme à Montréal, nous sommes plutôt mal lotis quant à ces lieux de promenade, celui dont je parle, qui est admirablement entretenu, mérite d’être plus fréquenté qu’il ne l’est.
Quoi de plus agréable, en effet, que de s’en aller respirer l’air pur de la campagne, par une journée à la chaleur torride ? L’ombre des bois et la brise qu’on y trouve alors sont, je crois, une des meilleures délectations que l’on puisse s’accorder inoffensivement et presque sans bourse délier.
Tenez, ami lecteur, cette après-midi [sic], je me suis payé la promenade que je vous engage à faire. Si vous le voulez bien, je vais, en peu de mots, vous narrer l’impression agréable que m’a donnée le parc de Westmount. Quant au reste, je vous laisse à deviner tout le monde d’idées plus ou moins poétiques, plus ou moins artistiques, que j’ai rapportées chez moi de ce site charmant.
D’abord, je m’empresse de dire que Westmount est par excellence un centre anglais. Il se peut que vous le sachiez, n’importe, le qualificatif qui vient de glisser au bout de ma plume comporte, on le sait, les idées du confort, de l’hygiène et du bien-être, chers à la race anglo-saxonne.
Donc, en entrant dans le parc en question, tout de suite on se sent dans une atmosphère de «respectability», non exempte d’agréments. On circule parmi les gens chics. Promeneurs, bonnes, enfants qui s’en donnent à cœur joie, sont sur leur trente-six. Et toute cette toilette est pour un jour ordinaire de la semaine; qu’est-ce que ça doit être les jours fériés ? […]
Partout je vois des bancs. Un instant, l’un d’eux tente ma paresse. Aussi bien, il fait si chaud ! J’ai apporté un auteur favori, pour une fois je le néglige, et, indolemment je laisse flotter ma pensée sur toutes ces choses et tous ces gens.
Il fait si bon ici, me dis-je, et ailleurs, on s’égorge ! comment pourrai-je l’oublier en voyant près de moi un grand mât de pavillon, que flanquent deux canons, dont on se sert pour les salves locales.
Sans le vouloir, un couple voisin attire mon attention. Je frôle une idylle, et le souvenir de mes vingt ans me revient par bouffées. J’ai dû en faire autant, paraître aussi naïf, jadis, là-bas, en un autre coin fleuri du monde…
Et je comprends peut-être davantage l’utilité des jardins publics ! Que feraient les amoureux épris d’idéal, si les allées ombreuses n’existaient pas, si les marguerites mourraient à jamais, si au ciel bleu ne passaient pas les hirondelles ?… Du coup, leurs conversations risqueraient fort de ne jamais sortir de leur gorge.
Les arbres les plus communs sous ce climat : érables, ormes, chênes d’Amérique, noyers, frênes, peupliers, mélèzes d’Amérique, trembles, saules se fondaient sous mes yeux en des teintes délicieuses. Longtemps, je serais resté à contempler ce paysage enchanteur, si les appels de la réalité ne m’eussent pas engagé à regagner mon domicile.
Comme je sortais par une allée de côté, de jeunes robins [sans doute des Merles d’Amérique] voletèrent devant moi, très familiers, et je m’arrêtai un moment pour écouter leur père qui chantait sur un humac fleuri.
L’air embaumé de ce délicieux jardin me grisait et j’avais peine à le quitter; cependant, je dus m’y résoudre quand, enfin, je parvins aux bâtisses qui le bordent à l’ouest. L’une d’elles en brique bien anglaise est le Victoria Hall, où la jeunesse locale s’amuse à toutes sortes de jeux pendant les longues et rigoureuses journées d’hiver. L’autre, presque similaire, est la bibliothèque de Westmount.
Et je partis en jetant un dernier coup d’œil au parc où j’avais passé une réconfortante après-midi [sic].