Un cimetière pour les riches, un pour les pauvres
En 1889, voilà dix ans que la ville de Saint-Hyacinthe dispose de deux cimetières, l’ancien et le plus récent. À l’ouverture du second en 1879, on laisse le premier plus ou moins à l’abandon, semble-t-il, et les pauvres de la ville n’ont pas les moyens de se payer un lot dans le nouveau.
Mais en mars 1889, des personnes de condition modeste s’adressent à la municipalité pour dénoncer cette situation. L’hebdomadaire La Tribune reproduit leur lettre le 15 mars 1889.
Voici la belle saison bientôt; c’est le temps, croyons-nous, de signaler à qui de droit un état de choses tout à fait pénible et disgracieux au suprême degré.
Nous voulons parler de l’état d’abandon et de délabrement dans lequel se trouve l’ancien cimetière de la ville. Vraiment, c’est d’une indécence révoltante et indigne d’une ville chrétienne et de progrès comme St-Hyacinthe. On dirait que l’on est en plein pays sauvage ! encore les sauvages du Ouest ont-ils plus de respect pour leurs morts !
Depuis bientôt dix ans, on ne fait plus d’inhumations en ce lieu sacré de repos. Qu’a-t-on fait pour lui donner une apparence de décence ? Rien ! absolument rien ! C’est à peine si les animaux ont été empêchés d’y pénétrer et d’y pacager.
Nous ne sommes pas riches, il est vrai, nos pères n’avaient pas les moyens de faire inhumer nos mères, nos frères et nos sœurs dans les caveaux de l’église, notre état de fortune ne nous permet pas non plus l’achat d’un terrain particulier dans le nouveau cimetière, pour y transporter les restes de ceux qui nous furent chers et dont nous regrettons la perte. Mais notre pauvreté peut-elle affecter nos sentiments ? Est-il nécessaire d’être fortuné pour aimer les siens ? D’ailleurs n’avons-nous pas, comme les autres citoyens, payé notre part de taxes pour l’achat de ce cimetière ? Notre centin ne vaut-il pas le dollar du riche ? Allons donc !
De grâce, messieurs du conseil-de-ville, si vous y pouvez quelque chose, rendez-nous justice ! Faites disparaître cet aspect révoltant, qui répugne tant à nos sentiments chrétiens, et vous aurez acquis la reconnaissance de
Plusieurs contribuables pauvres.
Rue Concorde, 9 mars 1889