Qu’en penses-tu, Édouard ?
Ah, chers parents, n’attachez pas foi à ceux qui vous disent «L’amour, c’est plus fort que la police». Continuez d’avoir vos enfants à l’œil, même fiancés. Ne les laissez pas s’abandonner, seuls au monde, dans la plus grande intimité, aux nombreux plaisirs de l’amour témoigné. Veillez, veillez.
Que vous faut-il ? Le témoignage de Ludger et d’Édouard ? Le voici. L’Écho des Bois-Francs du 2 mars 1901 est bien fier de reproduire leur petit échange épistolaire à ce sujet.
Drummondville, 14 février 1901,
Mon cher Édouard,
Dimanche dernier, plusieurs amis se sont réunis chez moi, et, tout en causant, on est venu à discuter sur un sujet qui me paraît bien important pour les parents. Les uns prétendaient, et c’était le plus grand nombre, qu’un père et une mère qui laissaient sa fille à la maison, seule à seule avec un garçon, sans surveillance aucune, et qui la laissaient voiturer avec le même sans-gêne, n’étaient aucunement blâmables, du moment que la fille et le garçon étaient fiancés l’un à l’autre.
J’étais avec trois ou quatre autres d’un avis contraire, et tous ensemble nous avons décidé de t’écrire, en te priant de donner ta réponse sur le journal «l’Écho des Bois Francs» pour donner encore plus de satisfaction aux intéressés sur la question. Veux-tu me faire plaisir ?
Ton ami, Ludger
* * *
St Eugène, 18 février 1901
Mon cher Ludger,
Si la fille est fiancée, je considère que les parents ont encore plus besoin de la surveiller, et tous ceux qui agissent différemment font preuve d’une grande ignorance. Je sais qu’il y a des parents bien peu scrupuleux sur ce chapitre des fréquentations, mais les licences qu’ils donnent à leurs filles ne passeront jamais pour des vertus. Que la fille soit fiancée ou non, le père ou la mère doivent également surveiller leur enfant, soit à la maison ou en voiture. Tiens, mon cher, je trouve dans le nouveau traité des «Devoirs du Chrétien», à la page 286, une pieuse histoire, qui te servira encore mieux que tout ce que je pourrais t’écrire, pour convaincre tes contradicteurs, et je vais en finir là. Voici.
Un jeune médecin habitant la capitale y reçut, au mois d’octobre 1828, le sacrement de mariage avec des circonstances bien édifiantes. Un de ses amis l’introduit dans une maison recommandable par ses vertus, en lui faisant espérer la main d’une fille unique aussi pieuse que le reste de la famille.
La jeune personne est bientôt promise au docteur, dont l’aimable modestie égale la science. Bientôt la cérémonie nuptiale allait avoir lieu, lorsque celui-ci vient seul trouver la mère de sa future épouse, et lui demande à parler en particulier à Mademoiselle Émilie.
— Ce n’est pas possible, monsieur, répond-elle d’une manière obligeante; ma fille n’est pas bien depuis deux jours, et elle a besoin de tranquillité.
— Mais, madame, il m’est pénible de ne pouvoir m’entretenir un instant avec votre demoiselle; à peine ai-je eu la satisfaction de la voir trois ou quatre fois dans la société; jusqu’ici je n’ai point trouvé l’occasion de lui exprimer à mon aise mes sentiments et de connaître les siens.
— Vos instances me font peine, monsieur, mais ma fille n’est pas visible. J’aurais cependant quelque chose de très important à lui communiquer. Je l’appellerai si vous le désirez et vous lui parlerez en ma présence; jamais ma fille ne s’est trouvée en tête-à-tête avec aucun homme.
— Mais bientôt je dois être son époux !
— Alors, monsieur, ma fille ne m’appartiendra plus; jusqu’à ce temps, je dois remplir à son égard tous les devoirs d’une mère chrétienne et prudente.
Certes, voilà une bonne mère ! Quelle leçon pour tant de parents indifférents ! Non des parents vraiment chrétiens et qui ont reçu une bonne éducation ne permettront jamais à leurs filles de se trouver tête-à-tête avec un jeune homme, et encore moins de ces courses en voiture, comme nous en voyons malheureusement trop souvent pour l’édification de nos populations.
Toujours ton ami, Édouard
À l’endos de l’illustration, il est tout simplement écrit « Laura Côté. Chicago. »