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L’âge le plus charmant de la femme

En France, le directeur de la Revue moderne, Charles Bourget, se fait demander par son collègue Armand Bourgeois, le rédacteur en chef du Paris-Province : Quel est l’âge le plus charmant de la femme ? Celui-ci lui répond :

C’est une question bien complexe, bien embarrassante que vous m’adressez là.

De prime abord, j’étais tenté de vous répondre : « La femme est charmante à tout âge. » C’était, vous le voyez, tourner la question, et comme vous me demandez de préciser, je m’exécute.

L’âge le plus charmant de la femme, c’est sa jeunesse, ce sont ses seize ans, son printemps fleuri, ses fraîches illusions, son premier sourire d’amour. Âge charmant entre tous, chanté des poètes, glorifié des Muses, âge prédestiné et resplendissant, où le rêve s’habille des séduisantes chimères d’amour, où le cœur commence ses battements amoureux, où d’adorables troubles apprennent à la vierge, devenue femme, le mystère de la vie, où les lèvres s’ouvrent pour laisser passer ce mot charmeur : «Je t’aime», premier aveu sincère, pur et tendre, où la tête sait blottir si gentiment ses frisons parfumés sur l’épaule du bien-aimé, où le temps, la nature, le monde, les cieux semblent devoir se fondre en cette expression sublime : Amour.

J’adore aussi la soixantaine de la femme, avec ses frimas de poudre, ses vieilles coutumes du temps passé, et le bon sourire qui raille, excuse et pardonne. Mais dans l’au-delà des petits yeux malicieux de nos belles marquises, même sous les paupières clignotants des Vieilles aux yeux verts, de Zola, il me semble voir surgir les rayons humides des flammes d’antan, les coups d’œil furtifs, à la dérobée, de nos espiègles petites et le long regard — qui seul est un vibrant poème — des adorables Graziella passées, présentes ou futures, ces Eves naissantes de notre pauvre Humanité amoureuse.

Tout vôtre,

Charles Bourget

 

Extrait de l’hebdomadaire Le Monde illustré (Montréal), 11 mars 1893, p. 535.

La Petite Bergère de Jean-Jacques Henner (1829-1905), une huile sur toile de 1892, se trouve au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse.

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