Nouvel écho d’une guerre lointaine
Il nous fut donné d’évoquer le 24 février dernier la guerre des Boers. Vous trouverez à cette adresse une présentation rapide de cette «guerre sale» sous laquelle se cachent de grands capitalistes. Nous l’évoquions à travers la lettre à sa mère d’un jeune Canadien français, Victor Gagné, de Lewiston, Maine, parti s’engager avec les Boers d’Afrique du Sud contre l’Angleterre et ses coloniaux, dont les Canadiens.
Voici maintenant une seconde lettre d’un jeune soldat d’Arthabaskaville, faisant partie du contingent canadien rattaché à l’armée anglaise. L’autre camp, quoi. Une lettre qui montre que, simple soldat, on est à la merci de ses supérieurs, et qu’importe la guerre, les mots sont toujours les mêmes.
Belmont, South Africa, 17 déc. 99
Chers parents,
J’espère qu’en ce moment vous avez reçu la lettre que j’ai envoyée à Alfred lorsque j’étais sur le bateau.
Nous sommes débarqués à Cape Town le 1er décembre et le lendemain, qui était mon anniversaire, l’on se mit en route pour gagner vers le front. Je dis vers le front, mais je crois que l’on ne s’y rendra jamais, car l’on ne sert seulement que de réserve.
On suit le trajet sinistre de la guerre d’à peu près 40 milles du lieu de la bataille et tout ce que l’on voit de l’ennemi n’est que ceux qui sont tombés morts sur le champ de bataille, c’est effrayant à voir tous ces lieux parsemés de cadavres et de chevaux.
Encore hier à «Spitsfontein», un engagement qui sera pendant longtemps raconté par plusieurs braves. L’engagement a duré pendant 48 heures. C’est une des plus grandes batailles du siècle. Pendant cet engagement, les Boers ont perdu leur position en canons et ont été obligés de retraiter. Je ne pense pas que cela dure bien longtemps maintenant, car les Boers sont découragés et plusieurs se livrent eux-mêmes prisonniers.
Encore avec deux ou trois petits engagements ce sera tout. Ensuite viendra l’avance générale vers Prétoria, la capitale du Transvaal, où l’on tiendra le siège. Mais je crois qu’avant cela, les Boers demanderont la paix, car ils vont tenter encore un effort et ce sera tout.
On s’attend d’un moment à l’autre de lever le camp pour avancer encore d’un poste. Je n’ose pas vous donner plus de renseignements, car je m’expose à des désagréments, nous n’avons pas le droit de donner aucun renseignement parce que des fois nos lettres peuvent être interceptées par l’ennemi et nos mouvements seraient découverts.
Mais, quant à mon sort, ne vous inquiétez pas, car on n’ira peut-être pas au front. Il pourrait se faire que nous aurions un petit engagement avec quelque petit détachement de Boers qui parcourent la campagne pour faire sauter les ponts de chemin de fer, mais il est peu probable que cela se voit, parce que l’on suit l’armée de trop près. Je suis en bonne santé et il n’y a pas de fièvres qui parcourent cette région en ce moment.
Il fait très chaud, c’est un climat semblable à celui de la Floride et il n’y a pas de maladies contagieuses.
C’est une région très stérile là où l’on est à présent, on n’y voit que du sable et des montagnes rocheuses, il n’y a pas de bois ni rien, mais à mesure que l’on avance cela devient plus fertile. On y rencontre toutes sortes d’animaux sauvages, serpents, autruches, lions, tigres, léopards, etc., enfin toute sorte d’animaux d’Afrique.
C’est à peu près tout ce que je puis vous dire pour le moment, mais je me propose de vous tenir au courant des choses. Dans tous les cas, ne vous inquiétez pas si parfois les lettres prennent du temps à vous parvenir, car d’ici ça prend un mois avant que vous les receviez si elles sont envoyées par le plus court chemin, comme vous voyez, la vôtre a pris juste cela. Elle est partie le 14 nov. et je l’ai reçue le 15 déc.
Je vais maintenant clore en vous disant aurevoir, car dans cinq ou six mois j’espère être avec vous. Je reste pour la vie,
Votre enfant dévoué,
Wilfrid
Il s’agit ici de la lettre de Wilfrid Cloutier, fils de Valère Cloutier, d’Arthabaskaville. Extrait de L’Écho des Bois-Francs, 10 février 1900.
L’image ci-haut de Boers en Afrique du Sud provient de cette page Wikipédia.