Une Écossaise au Canada avec son Kodak
Jamais, mais jamais n’ai-je entendu parler de cet ouvrage : Through Canada with a Kodak, d’Ishbel Hamilton-Gordon, lady Aberdeen, écrivaine écossaise, philanthrope et travaillant à promouvoir les droits des femmes.
Je ne connais pas cette dame. Ce qui m’attire dans le titre de son ouvrage, c’est le mot «Kodak». Voilà seulement cinq ans alors que George Eastman a inventé ce premier appareil photographique pour grand public. J’ai cru un instant que ce livre pouvait être un album de photos.
Mais la reproduction des images de cette chère Ishbel serait ratée et c’est davantage le texte qui a beaucoup plu au chroniqueur du Monde illustré, Léon Ledieu. Il en parle le 10 février 1894.
Comme l’a dit une Anglaise d’esprit : « C’est un livre qu’on lit volontiers un jour sombre, comme nous en avons eus tant cette semaine, car sa reliure renferme un rayon de soleil de printemps.»
Bien que tout soit à lire dans ce journal, je ne m’occuperai, pour le moment, que de ce qui nous intéresse plus particulièrement, de ses réflexions à notre sujet et sur notre province.
Québec enchante Lady Aberdeen.
«Aucuns mots ne pourront jamais décrire Québec, dit-elle dans son enthousiasme; et vous devez essayer de vous en faire une idée d’après les dessins que nous vous donnons. Nous l’avons vu par tous les temps : dans la lumière incertaine et rosée de l’aurore, à notre arrivée; puis, au milieu des hurlements de la tempête; une autre fois, quand ses clochers étincelaient au splendide soleil de midi; puis encore, alors que les tons gris de ses vieux pignons se transformaient aux lueurs du crépuscule. Québec produit une étrange fascination sur le visiteur; il le transporte dans le passé, qu’il le veuille ou non; le milieu qui l’entoure le domine et c’est la seule ville, à mon sens, qui puisse exercer sur ses enfants le même charme, indéfinissable et puissant, que produit sur nous, Écossais, notre incomparable «Auld Reekie».
Des choses, Lady Aberdeen passe aux hommes, et voici comment elle nous juge :
«Un mot des Canadiens français. C’est un peuple économe, satisfait, religieux et respectant les lois.»
Un Français aurait dit : craignant Dieu et les gendarmes.
«L’air de la France moderne n’est jamais arrivé jusqu’à eux et ce sont encore les mêmes simples paysans normands et bretons qui sont venus il y a des centaines d’années.»
Lady Aberdeen tombe dans l’erreur commune à bien des voyageurs qui persistent à ne voir dans les Canadiens que des gens qu’une fée aurait touchés de sa baguette, il y a deux cents ans, pour les endormir, comme dans la «Belle au bois dormant», et qu’eux, touristes, ont réveillés tout à coup en arrivant au pays.
Et ce jugement erroné a été fait et répété tant de fois qu’il est presqu’impossible de les convaincre du contraire.
Au fait, nous voyons tous les jours des étrangers qui prétendent avoir découvert la terrasse Frontenac.
«Les Canadiens, ajoute l’auteur, sont très soumis aux prêtres, qui exercent un grande influence sur eux et leurs affaires de famille. Les règles sont très strictes, pour la danse, les promenades en raquettes et autres amusements. Elles deviennent cependant moins sévères. Par exemple, il y a cinquante ans, il était absolument défendu de manger de la viande pendant les quarante jours du Carême, ce qui était souvent bien dur, dans un climat aussi rigoureux. Cette loi n’est plus aussi sévère depuis quelques années.»
Voilà un passage qui n’est pas tout à fait exact, mais, passons.
L’habileté des colons québecquois l’étonne; la calèche donne matière à une description très spirituelle de ce véhicule.
Montréal ravit lady Aberdeen; l’hôtel Windsor et la montagne lui fournissent le sujet de deux pages fort bien senties.
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Pendant son court séjour à Montréal, lady Aberdeen a passé une soirée chez sir Donald Smith, un des millionnaires les plus généreux et les plus sympathiques de notre pays.
Cet enfant de la laborieuse et intelligente Écosse, qui a produit tant d’hommes éminents, est une preuve vivante de ce que peuvent le travail et l’énergie. Au début de la vie, petit employé de la puissante compagnie de la Baie d’Hudson, égaré, perdu ignoré au petit poste de Mingan, il est devenu le chef de cette armée de trappeurs, de chasseurs, d’employés qui règne sur l’immense territoire du pays des fourrures de l’Amérique du Nord.
C’est de plus un financier hors ligne qui a eu l’esprit que nombre de journalistes n’ont pas, de devenir millionnaire.
Ce n’est pas un parvenu; il est arrivé par son talent, les circonstances aidant, bien entendu, mais il sait employer l’or que la fortune lui a donné; chaque fois qu’on s’adresse à lui pour une bonne œuvre, son chèque est prêt.
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Mais je m’éloigne de mon sujet, par sympathie pour ce philanthrope.
Je disais que lady Aberdeen avait passé une soirée chez sir Donald Smith, et son récit est charmant; elle dit le plus grand bien des personnes qu’elle y a rencontrées et surtout de cet excellent homme, le père Lacombe, le missionnaire bien connu de tous ceux qui ont été mêlés, d’une manière ou de l’autre, à la rébellion du Nord Ouest.
Elle a bien compris le caractère de l’oblat qui a consacré sa jeunesse, sa vie, à ses chers sauvages, comme il les appelle, et dont l’influence est si grande dans les prairies.
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Lady Aberdeen donne une courte description de la splendide résidence de sir Donald Smith.
Elle visite sa galerie de tableaux, et remarque la présence d’une toile due au pinceau d’un peintre français, qui représente une scène française et catholique : Les Communautés, sans nommer l’artiste.
Je l’en félicite, car la photogravure qui illustre son livre donne une pauvre idée de ce chef d’œuvre de l’art moderne, de Jules Breton.
Les illustrations, du reste, sont très faibles et ne sont pas dignes du texte. Ce n’est pas la faute de lady Aberdeen, je le sais, mais l’édition n’a pas été à la hauteur du sujet.
Après Montréal, l’auteur se dirige vers l’Ouest où je le ne suivrai pas aujourd’hui; mais, je le répète, tout est à lire dans ce livre, très bien écrit, qui a sa place dans toutes les bibliothèques.
Le portrait de cette écrivaine écossaise vient de cette page en langue anglaise que lui consacre Wikipédia.