Gédéon, le bon garçon
Tournant les pages des journaux québécois de 1900, il y a de ces textes soudain qui étonnent. Pourquoi cet écrit ici ? Oui, peut-être, en effet, il aurait sa place dans une galerie de portraits de personnages typiques de ce temps.
Voici donc Le bon garçon publié dans Le Monde illustré du 23 janvier 1892; l’auteur du propos signe simplement Wilfrid.
Côté cou (malgré la cacophonie), dos un peu voûté, mains larges et épaisses, cuisses de même, joues fertiles en poil, cheveux un peu frisés sur le cou et sur les tempes, œil limpide et doux, nez court, tout le reste en proportion, tel est le bon Gédéon, un gros courtaud, que tous les vieux et les vieilles surtout au village estiment fort et souhaitent à leurs petites filles «pas assez fines» pour s’attacher à lui.
Gédéon n’est pas paresseux, mais quand le temps en est venu il aime à se reposer. Il aime surtout à se bercer sur une chaise solide.
À peine s’est-il mis au lit qu’il dort d’un profond sommeil, sommeil que rien ne trouble, sommeil de paix; il ne fait que de bons rêves qu’il aimera à raconter le lendemain.
Il reçoit sa gazette une fois la semaine et la lit en entier, sans oublier le feuilleton. Aussi est-il en état de dire au voisin tout le nouveau lorsqu’il vient veiller chez lui.
Il va à la grand’messe tous les dimanches; souvent aussi il entend les vêpres; car Gédéon est un excellent catholique.
Le dimanche soir, il sort de son coffre sa bouteille d’odeur, en met un peu dans son mouchoir immaculé, et sans oublier de fermer son coffre, il va ensuite doucement avec sa grasse pouliche voir la fille du père Tranquille, mademoiselle Sapience; car il dépasse déjà la vingtaine : ses moustaches en font foi, bien qu’elles ne soient pas aussi bien tournées que celles du commis du coin.
Il est un peu gêné, m’a-t-on dit : la cause serait dans le sarcasme de quelques jeunesses, mécontents de ce que Gédéon n’a pas voulu se mettre avec eux autres pour acheter une bouteille de boisson.
Lui, préfère les bonbons, et il en fait manger à sa blonde. N’allez pas croire, cependant, qu’il prodigue son argent. Il tient a en avoir toujours dans son portefeuille carré : car c’est un garçon ménager.
Enfin, je dirai, après la mère Gatiane, qui m’en parlait, non sans quelque dessein, devant sa fille : c’est un bon garçon accompli, sous tous les rapports.
Un bon parti …
Triste mais belle réalité de celui qui ose espérer de sa belle sans avoir a trop le démontrer.
Un peu vieux jeu.
Sans doute un vent de gêne, économe par habitude ?
Vieux garçon dans l’âme qui ose encore croire que …