Voici la mouche
Dans son numéro d’août 1894 (vol. XXI, no. 8), voilà que Le Naturaliste canadien se lance dans une description de la mouche. Un texte qui semblerait bien original dans une revue scientifique d’aujourd’hui, mais néanmoins fort agréable. En voici des extraits.
Beaucoup d’insectes peuvent marcher sur les surfaces perpendiculaires, même assez lisses, en s’aidant des petites griffes dont leurs pattes sont munies. Mais les mouches sont des artistes en ce genre : elles peuvent se maintenir et marcher, le plus aisément du monde, dans n’importe quelle situation et sur les surfaces les plus polies. Comment s’explique cette remarquable faculté, qui s’exerce même en dépit des lois de l’attraction universelle, comme lorsque nos insectes se promènent au plafond d’un appartement ? Il serait en effet bien facile de prouver, en vertu de la plus splendide des formules de la physique, qu’alors la mouche est attirée par la terre « proportionnellement à sa masse et en raison inverse du carré des distances ». […]
Il ne faudrait pas, encore ici, s’imaginer que si les mouches font des choses aussi extraordinaires, c’est affaire d’hypnotisme, d’occultisme, de luciférianisme. Point du tout, et le phénomène se comprend aisément, et de façon fort naturelle, quand on examine des pattes de mouche. Observez un peu, et vous verrez en dessous de leurs pieds un petit coussin de poils serrés qui fait fort avantageusement l’office de ventouse. Dès lors, nul besoin d’être sorcier pour comprendre que la mouche profite ici de la pression de l’air. […] Et, à ce propos, quel lecteur ne s’étonnera pas que les inventeurs, après s’être inspiré même des ailes d’oiseaux pour construire certains appareils de navigation aérienne, n’ont pas encore pensé à quelque machine ressemblant aux engins déambulatoires de la mouche, qui nous permît, à nous aussi, de marcher sur les murailles et sur les plafonds ! Si les Américains s’en occupent, on verra un jour les gens monter pédestrement à l’extrémité des poteaux de télégraphe «pour voir passer la procession» ou pour y prendre la fraîche en fumant un cigare d’une Havane quelconque.
Il convient maintenant de dire quelques mots de la vie des mouches. La première période de leur existence n’est pas brillante, il faut bien l’avouer. Malgré les sages conseils des traités de littérature sur la délicatesse et la grâce du langage, disons résolument qu’elles naissent dans les fumiers et les matières animales en putréfaction. […]
Le genre d’existence de la mouche parvenue à l’état ailé n’est ignoré de personne. Une espèce surtout, appelée justement la mouche domestique, partage avec nous nos résidences. Quoi de plus gracieux que ces gentils volatiles, qui donnent tant de vie à la solitude de nos appartements en les parcourant sans cesse de leur vol capricieux ! Il faut à la mouche la compagnie de l’homme; durant la nuit, comme nous, elles se reposent; et, le matin, comme nous, elles reprennent leur activité. Elles semblent être pour nous des amies.
Mais il y a un revers à la médaille, et ces amies sont vraiment importunes. Avant nous, elles dégustent nos aliments; encore, si elles ne poussaient pas l’indélicatesse au point de prendre des bains dans la soupe, dans le lait, dans les sirops ! Que de fois elles se laissent enfermer dans le sucrier ! Et puis, pourquoi ces promenades qu’elles se permettent de faire sur notre visage, comme sur le square le plus public ? […]
Et, cher Monsieur, quand vous entrez, ou sortez, de grâce, je vous en prie, soyez prompt à refermer la porte ! Car, si, par malheur, il fallait qu’une mouche entrât au salon, je ne sais si l’on n’appellerait pas les sergents de ville. À tout le moins, le personnel de la maison serait requis à l’instant. Puer, abige muscas ! [Esclave, chasse les mouches !] et l’on n’aurait de repos que si l’on réussissait à expulser le monstre !
Cette mouche ci-haut est une création du sculpteur Roger Dumont, de Saint-Arsène, une municipalité à quelques kilomètres au sud de Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent. On retrouve également cette mouche à cette adresse-ci. Merci, chère Christiane.
P. S. Il m’arrive souvent de penser qu’une partie de vous et moi qui fréquentons ce site vit dans la marge et que cette dernière ne nous effraie pas.