Du théâtre pour enfants sur la Terrasse !
Un des hauts lieux du bonheur à Québec est la Terrasse Dufferin. Un jour, nul doute qu’il faudra écrire l’histoire de ce lieu, qui donne à voir l’immensité elle-même.
Il existe déjà un beau livre sur Les dessous de la Terrasse à Québec. Archéologie dans la cour et les jardins du château Saint-Louis, sous la direction de Pierre Beaudet, publié chez Septentrion en 1990. Il nous manque maintenant un ouvrage racontant le vécu sur cette terrasse.
Au fil du temps, depuis plus de 130 ans, il y eut à cet endroit des activités fort variées. Concerts, danses, émissions de radio, artistes ambulants, glissades en traîne sauvage, longues marches de méditation, baisers entre amoureux, coup d’œil comme il s’en voit fort rarement ailleurs, feux d’artifices au loin, regard sur la vie à la basse-ville, les bateaux à l’ancre, la ville de Lévis à distance, et quoi encore.
Et voici — ô surprise, et je l’ignorais — un spectacle de marionnettes. Punch et Judy eux-mêmes. Le chroniqueur Ludovic Brunet, qui signe Crispin, publie le 22 juin 1888, dans L’Union libérale, un hebdo de Québec, le texte suivant :
Nous avons eu la visite de Punch et Judy.
Les abords de la Terrasse pendant quelques jours ont été encombrés d’enfants, grands et petits. Les éclats de rire joyeux faisaient écho sur les murs sévères de l’École Normale [le Château Frontenac n’est pas encore là; en lieu et place, on trouve un édifice austère où loge l’école formant des enseignants]. Des personnages graves habillés de noir et de sourires contenus [nous sommes tout près du Palais de justice], magistrats et autres dignitaires importants entouraient la boîte mystérieuse, théâtre des exploits glorieux de Punch.
Les origines de Punch ou Polichinelle, on les retrouve, paraît-il, jusque chez les anciens Romains. L’Italie transmet le personnage à la France et, en 1697, on retrouve en Angleterre la légende de Punch, abréviation de Puncinella (Polichinelle) et de Judy (Judith).
Punch est un brigand, un vaurien. On en avait fait aussi un don juan en Angleterre. C’est un libertin, un voleur, un meurtrier, et tout ce que vous voudrez. Son aspect bizarre nous fait rire, et les exploits les moins risibles prennent chez lui une tournure comique. Sa double bosse et son nez en bec d’oiseau font passer les horreurs qu’il commet.
Chaque peuple s’est créé sur Polichinelle une légende qui lui appartient. En France, il est tout puissant, voici sa devise : «Quand je marche, la terre tremble. C’est moi qui conduis le soleil».
Vers 1797, parut en Angleterre une ballade intitulée : Les Fredaines de M. Punch. Quatorze couplets.
Voici le premier :
« Oh, prêtez-moi l’oreille un moment ! je vais vous conter une histoire, l’histoire de M. Punch qui fut un vil et mauvais garnement, sans foi et meurtrier. Il avait une femme et un enfant aussi, tous les deux d’une beauté sans égale. Le nom de l’enfant, je ne le sais pas, celui de la mère était Judith.
Right tol de rol lol. »
Polichinelle est un personnage immortel. C’est Charles Nodier qui le dit; rien ne l’amusait autant que de voir Polichinelle rouer de coups de bâtons sa femme, ses créanciers, le commissaire, pendre le bourreau et vaincre le diable lui-même. Ici, il y a une variante. Dans la légende primitive, et encore en France, le diable a le dessous dans sa lutte avec Polichinelle qui triomphe; mais les Anglais, peuple scrupuleux, ont changé la formule : Punch est malheureux, il succombe, et le diable l’emporte avec lui au fond des enfers. Peu d’espoir de la rencontrer de l’autre côté, alors. Pauvre Punch !
J’ai assisté à deux représentations sur la Terrasse. Ça m’a amusé énormément. Marionnettes pour marionnettes, je les préfère à celle de la chambre. On voit moins les ficelles.
Vous aurez compris qu’ici, Crispin se moque des députés qui siègent au Parlement.
Polichinelle est un personnage fort important dans l’histoire de la marionnette et il nous fait vraiment remonter à 2000 ans.
Voir ce texte de Charles Nodier sur Polichinelle et cette page Wikipédia sur Nodier lui-même.
Ce texte de Crispin (Ludovic Brunet) provient de l’ouvrage Chroniques et opuscules d’autrefois, compilation par Éric Dorion, Québec, 1912, 237 pages. Il s’agit d’un livre qui veut rendre hommage à quatre chroniqueurs de L’Union libérale de Québec : Charles DeGuise, François-Gilbert Miville Déchêne, Ludovic Brunet et Edmond-Georges Paré.
Source de l’illustration, une photographie de Phillie Casablanca sur Flickr.