La veillée des moissons, occasion de berdasser
Il y avait en France, dans certaines familles, certaines petites communautés, une coutume qu’on dit remonter aux temps préhistoriques. À la fin de l’été, sitôt la dernière gerbe de céréales entrée en gloire dans la grange, on faisait la fête de la Grosse Gerbe, la veillée des moissons en quelque sorte. J’en parle dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent.
Au Québec, les auteurs ne furent guère bavards à ce sujet. L’écrivain Léon-Pamphile Le May en cause dans son beau livre Fêtes et corvées publié en 1898. Sinon, c’est le vide. Mais voilà que l’Écho des Bois-Francs, l’hebdomadaire publié à Arthabaska, en dit mot, le 12 septembre 1896 sous le titre Parfum du passé. Précieuse pièce d’archives.
La lettre suivante nous est tombée sous la main par le plus heureux des hasards.
Nous y avons trouvé un parfum du passé qui mérite les honneurs de la publicité, surtout quand on sait que le document est signé par quelqu’un qui dans le temps, c.-à-d. vers 1837 a joué un certain rôle politique.
En lisant cette épître, dont le manuscrit est impeccable, mais l’ortographe défectueuse, nos lecteurs se rappelleront involontairement certains passages de ce modèle des romans canadiens, dont M. de Gaspé est l’auteur : Les Anciens Canadiens.
Il est question un peu souvent de Beurdassage dans cette lettre si originale, mais : Honni soit qui mal y pense !
St-Cuthbert, le 23 octobre 1837
Mon cher Joseph,
Tu me pardonneras j’espaire le griffonnage, que je t’ai écrit samedi par la malle, me voyant pressé par mon oncle qui s’en allait à Berthier, qui fait que je n’ai pu t’écrire que quelques mots, bien imparfaitement, et je crois même avoir oublier de signer mon nom. Mais aujourd’hui que je suis plus aloisi, je me propose de t’entretenir un instant des chanses que j’ai dans ce voyage.
Imagine toi que Jeudi au soir, je suis arrivé à Maskinongé dans la concession de l’Ormière, à mon logis ordinaire, le deuxième voisin donnait ce soir un parti, on payait une Grosse Jarbe, par bonheur pour moi je fus invité avec le maître et la maîtresse de la maison où j’étois, et je fus prié en ces termes, Mr voulez vous me faire l’honneur de venir à mon frico !
Tu peut penser que je lui ai répondu favorablement. Je me suis donc rendu à l’heure marquée, rendu là je vis avec surprise, une Table assez bien mise, il y avait sur la table, 3 Petits Cochons de lait, dont 2 à la sauce blanche, et l’autre routi, il y avait une Poule bien grasse toute ronde en ragout, avec des morceau de mouton, — 4 Tourquières de fesse de mouton, il y avait aussi je ne sais par quel Asard une bête puante bien apprêté, et quantité d’autre mets, sans compter le poivre et le selle, aprésent nous voila rendu au désert, que pense-tu qu’on avoit, 15 Tartes à la bouilli sucré, et assaisonné, 7 Terrinée de Compotte de Sitrouille, et environ ½ minot de faîne.
Il y avait aussi de la boisson en quantité, des grasses et grosse fille, à notre demande on a chanté, on a dansé, toute la veillé, de tems en tems, on allait voir le temps, et quelques fois on rencontrait de grosse fille de hords, et puis beurdasse sur un sen sur l’autre &c. Tout cela est fesable dans la concession de l’Ormière, à une heure après minuit nous nous sommes retiré, et j’ai eu l’avantage d’accompagné une grosse jusque chez elle, et puis Beurdasse encore.
J’ai le plaisir de t’apprendre que j’ai été invité des noces d’une jeune Carufel aussi de la Concession de l’Ormière qui se marie dans quinze jours d’ici, et il est tout probable que je yrai Beurdassé.
Je suis arrivé à St. Cuthbert samedi après midi chez mon oncle, une demi heure après, je fus prié d’être parain d’un petit neveu nouvellement né, chose que je n’ai pu accepter, malgré leurs fortes solicitation, vu que je n’étais nullement greillé pour cela, et c’est bien dommage parce que l’on Beurdasse aussi par là quelques fois. Mais par exemple je suis pour aller à une épluchette de Blédinde se soir pas bien loin de chez mon oncle et il est probable qu’il va y avoir du Beurdassement.
Il faut que je cesse cette entretient car je crains que tu me trouve ennuyant, en outre il faut que j’attelle pour aller vendre dans les concessions de cette paroisse, et être de retour assez de bonne heure pour l’épluchette de ce soir.
Malgré le plaisir que j’ai eu depuis que je suis parti, je ne cesse pas de toujours penser à mes amis de Machiche, principalement aux plus intime pour moi aussi je te prie de faire mes amitiés à Mr et Dme M. L. ……., à ton Papa et ta Maman, chez Mr C ……….. sans oublier L….! chez Dr L…à Pierre M……., ainsi qu’à tous les amis que tu trouvera bon de le faire, et j’aurai le plaisir de vous voir a la fin de cette semaine.
J’ai l’honneur d’être ton sincère et dévoué ami.
J. D.
Mr J. B.
Yamachiche,
Je te pris d’excuser le tout, les fautes de français, et les mots peu choisi que je me sert dans cette lettre.
J. D.
* * * * *
Commentaires.
Manifestement, le journaliste a gommé tous les noms pour nous empêcher d’identifier les personnages. Qui est donc l’auteur de cette lettre qui a joué un rôle politique en 1837, sans doute au moment de la rébellion des Patriotes ?
Nous sommes dans une concession, c’est-à-dire en pays profond, en territoire de colonisation, non encore formé en paroisse. Pour l’Église catholique, c’est là souvent un territoire de mission où passe un prêtre de temps à autre. Nous voilà donc en présence d’une population qui souvent se donne ses propres lois.
En 1837, la concession de l’Ormière fait partie des fief et seigneurie de Maskinongé et sera rattachée à Saint-Justin en 1859 au moment de l’érection de la paroisse.
Il est possible qu’on ait servi de la mouffette au menu. Mon oncle Paul Provencher, qui a longtemps vécu dans le bois avec les Innus et, à l’occasion, les Naskapis, me disait que la viande de bête puante est délicieuse. «Le seul inconvénient, ajoutait-il, c’est que lorsque tu rotes, ça sent ce que tu penses.»
Et, enfin, qu’est-ce donc que le beurdassage ou beurdassement, si aimé de l’auteur ? D’abord, on semble voir qu’on beurdasse à l’écart, dans l’intimité. Y a-t-il connotation sexuelle, allez savoir. Le Glossaire du parler français au Canada, préparé par la Société du parler français au Canada (Québec, Presses de l’Université Laval, 1968), donne sept sens au mot «Berdasser» : 1) secouer, secouer avec bruit, 2) bousculer, 3) disputer, 4) tracasser, 5) faire du bruit, remuer avec bruit, 6) s’amuser à des riens, faire plus de bruit que de besogne, 7) faire le ménage.
Peut-il s’agir alors de bécotage, de taponnage, entre partenaires consentants, bien sûr ? Ou plus encore ? Hé, chère Madame, vous vous voyez vous faire demander : Ça vous dirait, chère Vous, de berdasser un brin, à l’écart bien sûr ?
Quel métier étonnant que celui d’historien à la fin ! Devoir travailler sur les plaisirs du berdassage !
La cabane de colon, tout en haut, simplement signée L. B., est du type des sculptures qu’on fabriquait à Saint-Jean-Port-Joli à l’époque des Bourgault.
Dire que ma mère parlait de faire son « barda » !
Merci pour ce texte savoureux et les précisons qui répondent aux interrogations soulevées pendant sa lecture.
Mais lorsqu’elle faisait son barda, je ne suis pas certain qu’elle se livrait aux jeux amoureux habituels avec votre cher père. Ce fut beaucoup synonyme de faire le ménage.
Mon cher ami Jacques Bertin, poète, chanteur et journaliste français, m’envoie une interprétation, pleine de bon sens, du mot «berdasser». Il m’écrit : « Ma mère (d’origine vendéenne) employait l’expression: c’est une Marie-Bordasse (phonétiquement). C’est-à-dire une bavardeuse, quelqu’un qui bavasse, qui perd son temps à parler…
L’auteur de cet article m’avait pourtant prévenu dès le départ : Honni soit qui mal y pense !
Bonjour je viens de découvrir votre site par l entremise de mon neveu c est super a propos du mot barda ma mère l employait souvent et c etait parler de son ménage a faire et le mot berdasser etait quelqu un qui faisait du bruit volontairement pour montrer sa mauvaise humeur c est plaisant se souvenir de mots si souvent employés dans le temps
merci
P.Bell
Merci à vous, monsieur-madame P.Bell. «Barda» pour désordre, ménage à faire, je connaissais, en effet. Mais «berdasser», jamais je n’avais pris connaissance de ce mot.
J’ai souvent entendu mes parents dire « arrête de bardasser» pour arrêter de faire du bruits et brasser des affaires d’un bord pis d’l’autre. C’était vraiment prononcer chez nous avec un «a» .
Emmène ton Barda voulait dire amener tes affaires…
regardes tout le barda… genre regarde tout le fouillis…
Je connaissais «barda», cher Harold, au sens où tu l’entends, mais «berdasser», non.
Ma grand mère d’origine algonquienne appelait berdache des homosexuels ou des travestis chez les gens de sa nation.
Ô merci beaucoup, Monsieur Paquin.
Si on joint certaines définitions les unes aux autres, « secouer », « faire du bruit », « s’amuser à des riens », on peut imaginer… l’action de cet homme, sans trop de mal ! Fallait aussi user de bien des subterfuges d’écriture et de parlure à cette époque puritaine…
Mais il est vrai que je n’ai jamais entendu le terme bardasser ou bordasser(très utilisé en Côte-du-Sud et au Bas-St-Laurent) dans cette optique…
Merci, chère Vous. On progresse, on progresse. Manifestement.