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Les petits restos à prix populaires

Au début du 20e siècle, la vie quotidienne, en ville, connaît des bouleversements. Une nouvelle coutume, par exemple, s’implante à Montréal, le repas au restaurant durant la journée. Le travailleur, la travailleuse, plutôt que d’apporter son dîner au bureau, à l’usine, ira manger au petit restaurant du coin, à la condition cependant qu’il lui en coûte peu cher. Dans l’Album universel du 5 septembre 1903, le chroniqueur Alfred entretient le public lecteur de ce qu’il appelle ces « nouveaux caravansérails ».

 

Nous n’avons pas, à Montréal, quoi que ce soit qui rappelle, de près ou de loin, les fameuses brasseries du quartier latin, à Paris, ces endroits célèbres, couches chaudes du talent et du vice, où George Sand promena ses fantaisies et ses amours d’«étudiante», où l’on vit Murger, Musset, Verlaine, tous les talents de la bohème.

À n’avoir rien de semblable, nous gagnons sous le rapport de la moralité; nous perdons en révélation du talent qui s’ignore, en pittoresque.

Tout au plus pourrait-on rapprocher de ces institutions nos restaurants populaires, et par un point seulement, le moins remarquable : l’infinie diversité des éléments qu’on y rencontre.

Toutes les nationalités, toutes les races s’y donnent rendez-vous; toutes les langues s’y parlent; on y trouve des représentants de toutes les classes de la société : jeunes et vieux, riches et… pingres; pauvres, — puisque j’en suis —, artisans, ouvrières et filles de bureau; avocats, clercs, commis, marchands, industriels, représentants de toutes les catégories les plus diverses et les plus dissemblables de la société.

Là, on a — prodige du bon marché ! — un repas complet : potage, plat de résistance, légumes, liquides, pain et beurre, pour la modique somme de quinze centins.

Le paysan, naïf et modéré à la fois, est assis avec toute sa famille, les jours de marché, à côté du futé travailleur de l’usine voisine.

La santé et la bonne mine des premiers contrastent étonnamment avec le teint blafard du second et son air affaissé, jurent dans l’atmosphère terne, chargée de lourdes vapeurs, entre les quatre murs gris, dans cet espace encombré où les garçons de table circulent à grand’peine et d’où le parfum des champs est absent.

Le rat des champs dans la cuisine du rat de ville, quoi !

Tous les métiers y fraternisent.

À la porte, il y a toujours deux ou trois voitures, dont les conducteurs poussiéreux et sales avalent précipitamment leur soupe en surveillant l’attelage du coin de l’œil.

Les étudiants ont, dans certains de ces restaurants, une table à eux, et l’hôtesse les traite vraiment en mère : elle compte peut-être quelqu’un dans la troupe folle et gaie?

Il est piquant de voir le monsieur décavé, se sustentant, à quinze sous, d’observer ses belles manières, à côté du journalier, qui mange sans tant de façons, avec un appétit maladif et pénible à voir, avec des gens qui ne peuvent arriver à récupérer les forces qu’ils perdent.

La majorité des dîneurs avalent comme des loups, sans mot dire. On change si souvent de place qu’on peut être vingt jours sans retrouver le même voisin. Ajoutez à cela les changements d’heure et de restaurant…

Il serait intéressant de suivre chaque convive, de connaître les pensées, les actes, la personnalité enfin de chacun.

L’espace restreint et la crainte d’abuser de la patience du lecteur ne me permettent pas d’entreprendre cette investigation, de tenter ce travail d’observation spéciale.

En tous cas, on peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’à ces endroits le nombre de gens qui vivent pour manger est restreint, sinon nul. Ceux qui vont à ces restaurants bon marché sont bien de ceux qui mangent pour vivre.

Ils sont, le plus souvent, de la race de ceux « qui sont mangés», — comme le mouton de la fable.

 

À lire un texte pareil, il faut vraiment conclure que l’histoire de la vie quotidienne québécoise à la ville reste à être documentée et mise en lumière, qu’un énorme chantier nous attend. Tout est à faire ! Et ça ne peut qu’être captivant ! Il y a de ces jours où j’imagine qu’on se mettrait à plusieurs, à travailler dans la marge, pour arriver à une toute nouvelle histoire du Québec, ayant en son cœur même le vécu des populations.

On trouvera l’illustration ci-jointe non datée à l’adresse suivante : http://bibnum2.banq.qc.ca/bna/massic/accueil.htm. À la rubrique «restaurants», on dit qu’il s’agit du restaurant Ovila-Leroux, au coin de la rue Saint-Paul et de la place Jacques-Cartier, à Montréal bien sûr.

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