Visite d’Atlantic City
Vous aimez Old Orchard ? Attendez de voir Atlantic City, sur la côte est américaine, au sud-est de Philadelphie Là, voilà la démesure. Dans l’Album universel du 29 juillet 1905, Henri A. Hamelin nous y amène.
Atlantic City ! Ce nom seul éveille l’idée de la plage et des bains de mer. Cette petite île est devenue le paradis des baigneurs; une ville créée pour aider le monde à tuer le temps, et que visitent d’une année à l’autre des centaines et des centaines de milliers de personnes du continent américain et de l’Europe.
Il y a des centaines de places, aux États-Unis, qui ont plus d’attractions naturelles. À Atlantic City, tout est fait à ordre; c’est une city qui vient de New-York, et la végétation est même le produit du travail de l’homme. On a apporté en wagons des arbres qui bordent les rues, car il n’y avait pas un arbre debout sur cette côte rocailleuse et brûlée. La végétation consistait en ronces et en buissons d’herbes sauvages. Pour obtenir un terrain capable de nourrir du gazon, on a dû emporter là de la terre préparée. Et dire qu’aujourd’hui, la ville est un nid merveilleux de verdure et de fleurs.
Tout donc semblait manquer à Atlantic City pour devenir une grande ville, et ses grandes rivales américaines semblaient avoir beau jeu pour éclipser la petite cité, qui, sortie de l’océan, prenait le nom prétentieux de «Cité de l’Atlantique».
Mais on avait compté sans le sable, l’eau et le soleil, qui s’unissent pour faire de cette plage une station balnéaire idéale.
Atlantic City n’a connu que les triomphes, et elle est aujourd’hui sans rivale sur la côte de l’océan Atlantique. Les touristes ont commencé d’y affluer de tous les coins du continent, et comme sous le coup d’une baguette magique, les habitations ont surgi, couronnant la dune autrefois déserte, jusqu’à ce que la place prit les proportions d’une ville considérable, avec sa population flottante, changeante et constamment renouvelée.
Du Canada, des milliers de personnes vont à Atlantic City, tous les ans, et tandis que les Américains curieux viennent faire leur tour de Canada, les Canadiens émigrent à la mer, vers ce pays de rêve qu’est Atlantic City.
Outre les bains de mer et le sable argenté qui ont rendu fameux l’endroit, l’océan est là pour tous les plaisirs du sport nautique. À l’intérieur, les champs de course succèdent aux immenses pelouses du jeu de golf, de base-ball, aux pistes d’automobiles et de bicyclettes, etc.
La nuit, c’est le jour artificiel dans toute cette longue rangée de somptueux hôtels illuminés, qui bordent la plage, où jamais la gaieté ne chôme.
Mais ce qui prime tout, la vraie chose, c’est la fameuse promenade, longue de plusieurs milles, construite presqu’au-dessus des eaux, où le flot continu de milliers de personnes roule sa vague humaine du matin jusqu’au soir. Cette promenade est aujourd’hui aussi célèbre que la Cinquième avenue à New-York et les grands boulevards de Londres et de Paris. Construite en bois, elle fut maintes fois démolie par l’océan, qui, furieux de cet empiètement sur son domaine, se rue sans relâche contre la fragile barrière, mais toujours elle fut reconstruite, plus grande et plus belle.
Il n’y a pas d’autre endroit au monde où l’on peut voir une telle multitude que celle qui se rassemble sur la plage d’Atlantic City, à l’heure du bain. Cent mille personnes entrent dans la mer à la fois, masse grouillante, qui vue de loin, éveille l’idée d’une immense papier à mouches.
Abandonnant l’eau froide et salée pour un bain de soleil sur la grève, le baigneur adore se souler sur le sable fin, et si blanc, qu’il sèche sa peau et ses habits sans les maculer. Après une longue flânerie au chaud soleil, c’est un nouveau et dernier plongeon dans la vague moelleuse, puis, la mode l’exigeant, arrive l’heure des élégances, alors que les dames feront assaut de coquetterie, en exhibant les toilettes les plus jolies, comme toujours les plus nouvelles. Tout cela crée un kaléïdoscope assez inattendu.
Parmi les milliers d’attractions diverses qui sollicitent l’attention du touriste, de la cartomancienne automatique au carrousel, au loop-de-loop, au voyage à la lune, nous comptons les promenades à dos d’âne sur la plage. C’est là un plaisir recherché non seulement par les enfants, comme on serait tenté de le croire. Tout le monde y passe, grands comme petits. C’est l’usage.
Les petits enfants sont peut-être à eux seuls l’une des grandes attractions de l’endroit. Le nombre en est illimité et ils sont véritablement les rois de la plage, à certaines heures du jour.
Grands-pères, pères et enfants sont là gravement occupés à creuser des trous dans le sable et à faire des mulons, que l’on démolira pour recommencer ailleurs. Plus de contrainte. On a laissé la dignité et la réserve à la baignoire avec les habits de rue, et l’on ne reconnaît plus rien autre que de jouir de la joie de vivre au soleil.
Atlantic City se peuple à deux époques bien différentes : juillet-août et à Pâques. Ainsi, en hiver comme en été, le touriste accourt vers la mer, et c’est l’usage d’y aller au mois de mars ou d’avril, bien que la neige ne soit pas encore disparue et que la bise, venant du large, soit encore glacée. Tout a été prévu, cependant. Dans les hôtels sont aménagés de grands salons, où les habitués se paient un bain de soleil, en regardant la mer. Aux heures de promenade, le boulevard se peuple, comme aux beaux jours d’été, de cette multitude de gens, qui viennent là chercher le printemps, trop tardif à leur gré.