La grande variété des plantes surnommées «herbes»
Il est certain que tous les peuples de monde, préférant recourir à une appellation plus simple que le nom scientifique, ont donné le surnom d’herbe à plusieurs de leurs plantes. Herbe à ci, herbe à ça. Ces noms venaient de l’usage de la plante en médecine, en cuisine, ou autrement. Le Québec n’y échappa pas, bien sûr.
Quelqu’un a-t-il recensé un jour le nombre d’«herbes» ou d’«harbes» que nous avons ainsi nommées le long du Saint-Laurent ? Mystère. Chose certaine, en 1913, le comité du Bulletin du parler français au Canada (Québec, Société du parler français au Canada, vol. XII, sept. 1913) en repère une quarantaine. Voici une vingtaine d’entre elles. Les commentaires attachés à chacune proviennent de la Flore Laurentienne du frère Marie-Victorin (1964).
Herbe à Bolduc = Spergula arvensis (Spurry). La Spargoute des champs, aussi appelée Spergule, est une plante naturalisée d’Europe dans les champs cultivées, particulièrement abondante dans l’est du Québec.
Herbe à cent goûts, herbe sans goût, herbe Saint-Jean = Artemisia vulgaris (Mugwort). L’Armoise vulgaire fut probablement apportée au Canada par les Français venus de Normandie; elle est maintenant si bien naturalisée qu’elle a tout à fait l’aspect d’une plante indigène. Cette plante a connu de nombreux usages populaires. Dans mon ouvrage Les Quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent, j’écris : Le matin de la Saint-Jean [24 juin], on se livre à la récolte de l’armoise vulgaire, dite herbe Saint-Jean. On baigne les enfants dans de grandes cuves remplies de cette herbe. On frotte ceux souffrant d’eczéma avec une colle épaisse faite de cette herbe bouillie dans l’eau. En 1823, à Cap-Santé, pour préserver les chevaux d’une grave épizootie, on les nourrit en abondance avec de l’herbe Saint-Jean, ce qui donnera «des effets très heureux».
Herbe à cloques = Physalis halicabrum. Marie-Victorin ne dit rien de cette plante.
Herbe à cochons = Polygonum aviculare (Knot-weed, Door-weed). La Renoué des oiseaux est aussi appelée Traînasse. Marie-Victorin écrit : Cette plante suit l’homme partout où il va, entoure sa maison, borde le sentier où il marche; c’est une véritable plante domestique. Comme son nom l’indique, ses graines sont une nourriture importante pour les oiseaux.
Herbe à dindes = Achillea millefolium (Common yarrow). Aussi appelée Herbe à mille feuilles, Herbe aux charpentiers ou Millefeuilles. Aux Îles de la Madeleine, on l’appelle Herbe à dindons. L’une de nos plantes le plus communes et les plus connues de tout le monde. Nous en avions parlé sur ce site le 18 juillet 2011 et les commentaires furent fort intéressants.
Herbe à curer = Chara vulgaris (Common Stonewort). Marie-Victorin ne dit rien de cette plante.
Herbe à la clef = Chimaphila umbellata (Prince’s pine). La Chimaphile à ombelles, aussi appelée Herbe à peigne, pousse dans les bois secs, est général dans le Québec, mais plus rare dans l’Est.
Herbe à la ouate, Herbe à ouate = Asclepias Cornuti. Il s’agit sans doute ici de l’Asclépiade commune (Common milkweed), aussi appelée Petits cochons et Cochons de lait. Indigène, elle est commune dans tout le Québec et forme de grandes colonies dans les champs et les lieux vagues. De nombreux papillons fréquentent sa fleur, qui est assurément la préférée du Monarque.
Herbe à la puce, herbe à puce, herbarapuce = Rhus toxicodendron (Poison ivy). Marie-Victorin donne plutôt le nom latin de Rhus radicans à cette plante qu’on appelle aussi Bois de chien. Cette plante vénéneuse est très commune dans tous les habitats et il est étonnant de constater combien peu de personnes la distinguent avec certitude.
Herbe à la reine = Nicotiana tabacum (Tobacco). Le tabac, autrefois appelé Herbe à Nicot, Herbe du Grand Prieur et Herbe sacrée. Marie-Victorin ne dit rien de cette plante.
Herbe à liens = Spartina pectinata (Pectinate spartina). Aussi appelée Chaume, ou Foin de grève, la Spartine pectinée pousse dans les marais, les rivages sujets aux crues printanières et les prairies saumâtres. Au Québec, elle fut très employée pour lier les gerbes et, le long du fleuve, elle fournissait autrefois les matériaux des toits de chaume.
Herbe à pauvre homme = Gratiola virginiana. Marie-Victorin n’est guère bavard au sujet de cette plante, la Gratiole.
Herbe à poux = Ambrosia artemisiifolia (Small ragweed). Aussi appelée Petite Herbe à poux, l’Ambroisie à feuilles d’Armoise est une plante universelle dans tous les terrains en culture négligés de l’est de l’Amérique. Elle joue un rôle important dans l’étiologie de la fièvre des foins.
Herbe Robert = Geranium robertianum (Red robin). Aussi appelé Herbe à Robert et Herbe à l’esquinancie, le Géranimum de Robert, général, mais plutôt rare, fleurit du printemps jusqu’aux neiges et vit dans les bois humides et les ravins froids.
Herbe aux chantres = Sisymbrium officinale (Hedge mustard). Le Sisymbre officinal, naturalisé d’Europe, cause rarement des ennuis sérieux dans les champs, selon Marie-Victorin.
Herbe aux ânes = Œnothera biennis. Il s’agit ici de l’Onagre. (Primerose). Mais laquelle ? Marie-Victorin écrit qu’aucune plante nord-américaine n’a donné lieu à autant de recherches et n’a soulevé autant de problèmes taxonomiques et cytologiques. En 1913, quand la Société du parler français au Canada dresse cette liste d’«herbes», elle ignore comme tout le monde que, dans ce cas-ci, l’Herbe aux ânes, elle utilise un nom générique. Le botaniste Marie-Victorin écrit : «On sait maintenant que la réalité est beaucoup plus complexe et que nous avons affaire à un nombre assez considérable de types, quelques-uns très locaux, qui ont pris naissance par mutation ou hybridisme».
Herbe aux chats, Herbe à chat = Nepeta cataria (Catmint). Aussi appelée Chataire et Cataire, cette plante, la Népéta cataire, naturalisée de l’Eurasie, générale dans la partie habitée du Québec, pousse dans les lieux incultes et sur le bord des routes. Voici ce que nous en disions sur ce site.
Herbe aux cinq coutures = Plantago lanceolata (Lance-leaved plantain). Cette plante, le Plantain lancéolé, aussi appelée Herbe à cinq côtes, naturalisée de l’Eurasie, pousse un peu partout dans le Québec, dans les champs et les lieux incultes.
Herbe aux perles = Lithospermum officinale (Common gromwell). Aussi appelée Graines de lutin, cette plante, appelée Grémil officinal, naturalisée de l’Eurasie, pousse partout dans les lieux incultes, surtout calcaires. Ces fruits ressemblent à de petites pierres très dures.
Herbe aux sorcières = Circaea lutetiana (Lutetian enchanter’s nightshade). On retrouve cette plante, la Circée de Lutèce, dans les bois riches et secs, surtout décidus, à l’ouest et au sud du Québec.
Et vous imaginez un instant la richesse de notre milieu de vie. Quelqu’un habiterait seulement en banlieue — la Lune, Mars ou Vénus — qu’absolument rien d’un pareil discours serait possible tant la vie là-bas est pauvre. Nous habitons vraiment un jardin. À nous perdre complètement dans les identifications tant la variété est grande.
P. S. À noter que la plupart des plantes ci-haut vivent dans des milieux incultes. Comme quoi il serait bien difficile de soutenir que la connaissance populaire de la flore des milieux incultes voilà 100 ans était d’une extrême pauvreté.
Les illustrations proviennent de l’ouvrage de George H. Clark et James Fletcher, Les mauvaises herbes du Canada, Ottawa, ministère de l’Agriculture, 1906.