Un tigre à Sainte-Madeleine !
Quelle histoire ! Le 27 juin 1905, le journal La Patrie titre : Un tigre à Sainte-Madeleine.
La terreur règne à Sainte-Madeleine, près de Saint-Hyacinthe, et à La Présentation, la paroisse voisine. En plein jour, les habitants de ces deux jolies localités n’osent s’aventurer loin de leurs demeures, dans lesquelles se tiennent strictement confinés les enfants et les femmes, et quand la nuit approche, partout les maisons se ferment avec un soin méticuleux. On ferme les portes à double tour, on se barricade à l’intérieur, et, la nuit durant, on ne dort que d’un œil, pendant que le chef de la maison prête attentivement l’oreille au moindre bruit venant de dehors.
Quel est le motif de cette générale appréhension, de cette terreur panique de 350 habitants de La Présentation et des 600 habitants de Ste-Madeleine ?
Il y a un mois, le cirque Sells & Downs, avec sa ménagerie de bêtes sauvages et féroces, visitait St-Hyacinthe. Plusieurs cultivateurs des campagnes environnantes, entre autres de Ste-Madeleine et de La Présentation allèrent alors se payer le spectacle d’une représentation — chose d’occurrence assez rare dans les campagnes. […] On frissonna à plaisir devant les solides cages où étaient retenus captifs les lions rugissants et les tigres avides de sang.
Mais si la visite de la ménagerie Sells et Down fut un spectacle agréable aux gens de Ste-Madeleine et de La Présentation, qui étaient allés voir le cirque à St-Hyacinthe, M. Joseph Guillemet, un cultivateur respectable et digne de foi de Ste-Madeleine, fut bien moins réjoui, ces jours derniers, lorsque, travaillant sur sa terre, il lui arriva, en relevant la tête, d’apercevoir à trente pieds devant lui un tigre énorme.
M. Guillemet essaya d’abord de se persuader qu’il était le jouet d’une illusion et que la bête qu’il voyait devant lui n’était qu’un grand chien inoffensif, mais, au second coup d’œil, quand il examina les rayures fauves de la robe de l’animal, sa queue qui ondulait au vent, sa tête de colossal félin, et ses yeux fulgurants, il ne put douter davantage, et cédant à la terreur qui le saisit, il prit les jambes à son cour et s’enfuit dans la direction du village, où il arriva hors d’haleine et en poussant des cris désespérés.
M. Jos. Morin, un autre cultivateur, de La Présentation, eut aussi sa rencontre avec le tigre et il tremble encore. Le fauve s’était ce jour-là aventuré jusqu’auprès de la grange de M. Morin et cherchait apparemment sa pâture. M. Morin l’a vu à 15 pieds et n’a pu faire d’erreur.
L’article de La Patrie se poursuit et se termine ainsi :
Malgré que, dans nos campagnes, on n’élève pas de bétail et de moutons pour l’alimentation des bêtes féroces, les habitants de La Présentation et de Ste-Madeleine prendraient assez facilement leur parti des pertes éprouvées, mais ce qu’ils ne peuvent supporter, c’est la constante appréhension de voir un jour ou l’autre la terrible bête, pour varier son menu, s’attaquer aux êtres humains.
Ils ne savent à qui s’adresser pour obtenir leur délivrance avec la tête du tigre.
Elle leur vient, la délivrance, car nous sommes informés de bonne source qu’une quinzaine de membres du Montreal Hunt Club, armés de leurs meilleures carabines, se transporteront dimanche prochain, à Ste-Madeleine, pour faire une battue et abattre le tigre.
Ce sera, croyons-nous, la première fois qu’on aura chassé le tigre dans ce voisinage. Nous espérons que l’expédition sera heureuse, et, lorsque l’objet de leurs terreurs aura rendu son âme de tigre sous la pluie de balles de nos intrépides chasseurs, ceux des habitants de Ste-Madeleine et de La Présentation, qui ont subi des pertes, pourront peut-être s’aviser de réclamer une indemnité des propriétaires du cirque Sells & Downs. Car on suppose, avec beaucoup de vraisemblance, que ce tigre provient de leur ménagerie.
Il y a aura battue, on invitera même la population locale à se joindre aux chasseurs. Pendant sept ou huit jours, La Patrie entretiendra ses lecteurs de cette histoire, en lui accordant de moins en moins d’importance. Finalement, on cessera de parler de ce fait demeuré sans conclusion, sinon que jamais on ne retrouva de félin dans la région.
D’après les articles du quotidien montréalais, les preuves semblent bien minces aujourd’hui qu’il s’agissait là d’un tigre. Et jamais le cirque Sells & Downs n’a signalé la perte d’une de ses bêtes fauves. Question : ce félin pouvait-il être simplement un cougar ?
Dans son livre Nos animaux chez eux, publié en 1934, le naturaliste Claude Mélançon écrit à son sujet : « Ce superbe animal, qui ressemble à une lionne d’Afrique, est le plus gros de nos chats indigènes. Il y a moins de cent ans, on le rencontrait un peu partout au Canada. On en a tué près de Québec, de Sherbrooke, de Mégantic et à Nominingue. Dans ce dernier cas, l’Indien qui l’abattit n’osa l’emporter, croyant avoir tué un Ouendigo ou mauvais esprit. »
Le comportement habituel du cougar semble toujours d’éviter l’humain, de le fuir, et non de l’attaquer. L’animal se fait donc bien rare et, depuis quelques années, les fonctionnaires du ministère québécois des Ressources naturelles et de la Faune sont convaincus de la présence du cougar au Québec. On demande d’ailleurs à toute personne qui croit avoir vu un cougar d’aviser dans les plus brefs délais le bureau de la Direction de l’aménagement de la faune de sa région. La présence du cougar fait actuellement l’objet d’un suivi.
Personnellement, j’espère que celui ou celle qui apercevra cette bête magnifique quelque part au Québec n’aura pas le réflexe de l’abattre.
Je signale que, le 4 février 2005, le chroniqueur du Devoir, Louis-Gilles Francœur affirmait que le cougar était officiellement de retour au Québec (article accessible aux abonnés du journal).
La photographie du cougar provient de la page internet suivante.