Le défi d’écrire dans une société qui ne sait lire
En 1900, au Québec, il n’y a pas d’intérêt pour l’écrivaine, l’écrivain, et ses textes. L’analphabétisme est si grand que beaucoup songent même à aller vivre en France; d’ailleurs, plusieurs traversent.
À compter de 1898, la poignée de membres de l’École littéraire de Montréal, que des hommes, fondée trois ans plus tôt, se réunit le vendredi soir au Château de Ramezay [au 280, rue Notre-Dame Est]. Pour s’encourager à vrai dire, ne pas perdre espoir, continuer la plume.
En ce moment, je relis Les Soirées du Château de Ramezay par l’École littéraire de Montréal, publié chez l’éditeur Eusèbe Senécal, à Montréal, en 1900.
Dans la présentation de l’ouvrage, Charles Gill écrit : Celui qui passerait un vendredi soir, devant le Château de Ramezay […], trouverait, contre l’habitude, la grille extérieure ouverte, et s’étonnerait, sans doute, de voir filtrer la lumière par la porte entre-bâillée. Si la curiosité le poussait à entrer, après avoir traversé un sombre couloir garni de portraits, de flèches et de tomahawks, il pénètrerait dans une pièce étroite où il apercevrait quatre avocats, un graveur, deux journalistes, un médecin, un libraire, cinq étudiants, un notaire et un peintre réunis autour d’un tapis vert jonché de manuscrits : c’est l’École Littéraire à laquelle le vieux château donne asile ce soir-là.
Gill explique qu’il ne s’agit pas de s’admirer, mais de s’apprendre à écrire. Dans ces soirées où les absents se font rares, dans cette école sans maître, on se lit, on s’analyse, on se critique et nul n’a le droit d’y élever la voix plus haut que son voisin. Et comme il n’y a d’autre honneur à briguer que les applaudissements des camarades, quand un vers bien frappé monte dans la fumée des cigarettes ou qu’une page bien sentie retient les souffles, la jalousie n’a pas jeté d’ombre sur notre enthousiasme (…). Chacun s’empresse d’y soumettre son dernier travail. Chacun y communique ce qui a pu l’intéresser dans la semaine.
Lors de ces soirées, on retrouve des écrivains de tous âges, depuis Louis Fréchette jusqu’au jeune Émile Nelligan.
Tous les textes qui apparaissent dans cet ouvrage de 400 pages ont été soumis aux confrères écrivains. En voici un de Gonzalve Desaulniers (1863-1934), avocat et journaliste originaire de Saint-Guillaume d’Upton. L’auteur, à la plume romantique, aime s’inspirer d’Alfred de Vigny et d’Alphonse de Lamartine, les deux poètes français.
Chanson des bois
Où donc allez-vous, mon beau fiancé ?
— Je m’en vais au fond du bois nuancé
De vert et de rouge,
Vers la solitude où courent le daim
Et l’ours et l’élan qui bondit soudain
Quand le chasseur bouge.
Quand reviendrez-vous, mon beau fiancé ?
— Quand la brise aura de nouveau bercé
Les nids de javelles,
Quand, dans les grands bois qu’auront fuis les loups,
Les chênes mettront dans tes grands yeux doux
Des ombres nouvelles.
Qu’apporterez-vous, mon beau fiancé,
A l’enfant des bois dont le cœur blessé
Va compter les lunes ?
— Des peaux de renards et de cariboux,
Des colliers plus bleus que l’œil des hiboux,
Pour tes tresses brunes.
Ci-haut, le Château de Ramezay, rue Notre-Dame Est, à Montréal.
Quoi? Il y avait un poète et romantique de surplus au village de mes ancêtres Pontbriand !
Un poète très honorable à part de ça, chère Vous.