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Quel juge ! Quelle déclaration !

En 1897, une journaliste, qui signe Françoise, tient dans La Patrie, chaque lundi, une chronique. Le 17 mai 1897, elle dénonce la déclaration, tout à fait incroyable aujourd’hui, d’un juge de l’époque. Voici cette chronique. Intégralement.

On a vu la semaine dernière, dans Montréal, on a vu,
siècles futurs, vous ne pourrez le croire,
un magistrat, un représentant de cette immuable Justice au nom de laquelle le faible doit être protégé contre le fort, regretter quoi ?
Regretter que la loi n’autorise pas les hommes de frapper leurs femmes !

Et vous pensez que j’exagère, que je veux faire du pathos, ou battre de l’indignation à froid. Lisez plutôt. Je reproduis textuellement.

J’ai souvent pensé, a dit le savant juge, que la loi ne donnait pas assez de pouvoirs aux maris pour corriger leurs femmes !

Une petite correction appliquée au bon moment peut souvent faire grand bien à certaines femmes qui paraissent croire que la patience des hommes ne doit pas avoir de limites.

Désormais, il ne manquera plus rien à notre société; une grande lacune sera comblée : nous aurons le monsieur qui bat les femmes.

La loi non seulement le permettra, mais — dernier et suprême effort d’un raffinement de civilisation — il y aura une petite clause tout exprès pour l’y autoriser.

Que de plus noble et de plus magnanime ! Quel titre plus glorieux à ajouter à celui de protecteur et de défenseur naturel du plus faible !

Ne voyez-vous pas ce bras fort et vigoureux, bien musclé, velu comme l’animal, s’abattre sur ce frêle corps de femme, à la chair tendre et rose, le bleuir, et le terrasser d’un seul coup……

Quel spectacle propre à réjouir l’âme et à élever l’intelligence ! Comme il y a loin entre cette image et les paroles du poète chantant «qu’il ne faut jamais frapper la femme qu’avec une fleur». Et qu’il est reculé de nous ce temps où la France chevaleresque vivait et mourait pour la devise : Mon Dieu, ma dame et mon roi.

Hélas, oui ! je l’admettrai volontiers et personne ne l’oublie, la patience des hommes a des limites et quelles limites ! En bien des cas, les bornes ne sont tellement restreintes qu’il n’y aurait pas de place à loger un grain de moutarde.

Non que je sois tellement aveuglée sur mon sexe que je ne lui trouve aucun défaut.

Je suis prête à reconnaître que quelques femmes, nerveuses et par conséquent aisément irritables, soumettent l’angélique (?) patience qui caractérise si particulièrement les hommes en général, et les maris en particulier, à de rudes épreuves. Mais n’y a-t-il d’autre moyen que la force brutale pour faire rentrer en eux-mêmes ces êtres délicats et malades ?

Il est bien heureux, lui, le mari, qui peut mettre son chapeau sur la tête et fuir momentanément l’orage, tandis que, pour elle, qu’il grêle ou qu’il tonne, défense est faite de chercher un abri ailleurs que sous le toit conjugal.

Pourtant, avec la femme, il est un autre moyen, infaillible celui-là, d’apaiser sa mauvaise humeur, c’est de lui parler au cœur, de calmer par de douces paroles ses pauvres nerfs trop tendus par les soucis du ménage, trop affaiblis par les maladies et les souffrances auxquelles elle a été vouée dès sa naissance.

Elle sera vite vaincue et désarmée, cette mégère de tout à l’heure; vous la verrez bientôt toute repentante, pleurer des larmes de tendresse dans les bras de celui qu’elle aime en ce moment plus qu’elle ne l’a jamais aimé peut-être, parce que, quand il aurait pu commander par sa force, elle l’a trouvé bon et miséricordieux.

Oui ! lâche et triple lâche, dis-je, celui qui ose lever la main sur une femme.

Quand même tous les législateurs du monde en feraient une loi, il restera toujours, je l’espère, un code de l’honneur, un article pour la protéger et la défendre !

Françoise

 

L’illustration ci-haut, Profil de femme, est du peintre Ozias Leduc (1864-1955).

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