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Un enseignant crie au secours

Le 21 mars 1901, La Patrie dénonçait le triste état des écoles publiques québécoises. Une douzaine de jours plus tard, un instituteur, qui signe Jules D’Alpha, déplore la situation précaire du corps enseignant.

Dans une série d’articles vigoureux et très bien faits, vous avez établi d’une manière irrécusable que nous payons très mal ceux qui se dévouent à cette œuvre admirable de l’éducation; que l’assistance à l’école laisse à désirer; que beaucoup de maisons d’écoles sont dans un état pitoyable, etc., etc.

En effet, M. le Rédacteur, c’est une honte pour la province de si mal rémunérer les instituteurs et les institutrices. Avec la maigre pitance que nous leur donnons, est-il étonnant que si peu de personnes cherchent à se créer un avenir dans l’enseignement; que nous ayons tant d’écoles médiocres; que nous ayons près de 700 personnes qui enseignent sans diplôme dans la province. Dans leurs rapports de l’an dernier, plusieurs inspecteurs se plaignent qu’il devient de plus en plus difficile d’avoir des titulaires diplômés.

À quoi cela tient-il ? Ce n’est assurément pas au manque d’institutrices, d’instituteurs diplômés. Non; car il y en a, et en grand nombre. Mais tant que l’on mesquinera sur le salaire à donner aux fonctionnaires de l’enseignement, plus il deviendra difficile de recruter le personnel nécessaire au bon fonctionnement de nos écoles.

Pendant longtemps, on a cru que, pour une jeune fille, l’unique moyen de profiter de son instruction était de se livrer à l’enseignement. Aujourd’hui avec la facilité de communication que nous avons avec les grands centres par le moyen de nombreux chemins de fer qui sillonnent notre belle province en tous sens, et grâce aussi à la diffusion des journaux qui atteignent maintenant la presque totalité de nos foyers, on reconnaît qu’il y a mieux à faire que d’enseigner. On ne se contente plus de cette constatation; on dédaigne, et avec raison, de se livrer à l’enseignement, on préfère le fonctionnarisme commercial où le salaire est assurément plus rémunérateur que dans la majorité de nos écoles.

L’on n’oublie pas non plus que la vie physique et la vie morale y sont plus douces. S’il est fatigant d’être cloîtré toute la journée dans un bureau, dans un magasin, il ne faut pas croire qu’il est agréable de passer une journée dans une salle de classe comme nous en avons tant, où l’air qu’on respire est corrompu au point parfois d’en donner des nausées. Et ensuite, est-ce donc rien que d’avoir à parler de neuf heures du matin à quatre heures du soir, et ce de manière à couvrir ce bruit inévitable d’enfants remuant livres, ardoises, tables, etc., toussant, crachant, éternuant. Et puis est-il rien de plus assommant que d’avoir à recommencer cinq fois, dix fois, une explication touchant un problème d’arithmétique, une règle de grammaire, que pourtant on s’était efforcé de rendre accessible à tous une première fois.

Et encore, combien de fois ne dit-on pas au maître, à la maîtresse : «Je ne sais comment vous faites pour faire la classe à tant d’enfants, nous n’avons que trois ou quatre enfants et nous pouvons à peine les endurer». Je ne finirais pas s’il me fallait énumérer toutes les misères physiques du corps enseignant. Et, au moral, que de soucis encore. […]

À ceux qui prétendent que la tâche d’instituteur, d’institutrice est douce, je conseille d’en user et je suis certain qu’ils n’en abuseront pas. L’expérience leur démontrera la somme de sacrifice qu’il faut faire pour s’en tirer avec honneur.

 

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