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La grande Emma Albani en concert à Québec

Au printemps 1901, la cantatrice Emma Albani, née Lajeunesse (1847-1930), arrive au Canada pour une dizaine de semaines, offrant des récitals de Halifax à Vancouver. Albani, cette immense vedette internationale, surnommée alors la fauvette canadienne, a déjà, et depuis un moment, brûlé les planches des grands théâtres d’Occident. Le 11 mars, en pleine tempête de neige, elle se produit au Château Frontenac, à Québec, devant une salle comble. Le correspondant de La Patrie dans la capitale y assiste. Il nous en parle dans l’édition du 13 mars.

Albani a décidément fait dès sa naissance un pacte pour la vie avec la jeunesse. Je l’ai entendue il y a vingt ans et franchement sa meilleure voix ne m’a pas causé plus d’impression, plus d’émotion que lundi soir au Château Frontenac. Même étendue, même puissance, même pureté, même flexibilité, et j’oserai même dire même fraîcheur.

Albani est non seulement admirable, mais étonnante. Près de quarante années de travaux, d’exercices et de chant, et la ravissante voix dont la nature l’a douée ne paraît pas en avoir été même légèrement affectée. Les années ne paraissent pas avoir eu le même effet sur elle.

Je dirai cependant que notre éminente compatriote a su s’entourer, pour cette nouvelle tournée de concerts, d’artistes réellement dignes d’elle. Mlle Muriel Foster est sans contredit le contralto le plus brillant, le plus charmant que l’on ait jamais entendu à Québec. M. Douglas Powell est un baryton d’une incontestable supériorité. M. Tividor Nachez est un virtuose de haute volée. Il a rendu sur son instrument de prédilection, avec un brio étonnant, des morceaux d’une difficulté extraordinaire.

M. Brossa est fin flûtiste admirable et que l’on a applaudi à outrance.

Tous ces artistes ont été rappelés et ils ont su répondre généreusement aux rappels. Le programme a été ainsi presque double.

Il y avait foule. La salle contenait tout ce qu’elle pouvait contenir de spectateurs. Il y avait plus de 600 personnes, malgré l’affreuse tempête de neige et de vent qui sévissait, et la salle offrait le plus intéressant coup d’œil.

Albani a chanté en rappel avec une émotion pénétrante : Home, sweet home, la Sérénade des Anges, Je veux revoir ma Normandie et Rendez-moi ma patrie.

Aura-t-on jamais le rare avantage d’entendre de nouveau notre éminente cantatrice, et surtout dans d’aussi heureuses dispositions ? C’est certainement le vœu le plus ardent de tous ceux qu’elle a charmés ou plutôt ravis jusqu’aux célestes régions, lundi soir.

 

J’aurais tant aimé entendre Albani, cette exilée du ciel, comme la qualifiait La Minerve en 1862, interpréter Je veux revoir ma Normandie. Avec la très grande pureté de sa voix et le lyrisme dont elle était capable, ça devait être à brailler (les Français diraient à chialer). Et vous voulez que je vous dise, il y a des métiers plus tristes que de devoir assister à un concert d’Albani, un soir de grande tempête, à Québec, en 1901. Absolument veinard était cet homme.

Faute de trouver une version d’Albani de Je veux revoir ma Normandie sur internet, voici notre cantatrice interprétant Angels ever Bright, de Haendel. Ce n’est pas cette Sérénade des Anges dont parle le journaliste de La Patrie, mais c’est beau. Cette Sérénade (en italien Sa Leggenda Valacca) serait du violoncelliste et compositeur romantique italien Gaetano Braga (1829-1907). Le texte français apparaît dans La Lyre canadienne, répertoire de chants canadiens, romances, opéras et chants comiques étrangers, compilé par W. H. Rowen, publié à Québec en 1870, p. 240s.

En voici le texte :

Mère, n’entends-tu pas dehors
Le doux chant qui soupire
Et semble bercer ses accords
Sur l’aile de zéphyr ?
Regarde là sur le balcon.
Et dis, si tu peux, d’où vient ce doux son.

Non, non, enfant, dans le jardin
Je n’entends rien qui chante,
Rien que la brise du matin
Qui passe frémissante
Endors, endors ta pauvre âme souffrante,
Repose, enfant, jusqu’à demain.

Non, non, ce n’est pas un chant de la terre
Que j’entends, que j’entends, bonne mère
Ah! c’est la voix, c’est la voix d’un ange murmurant
Un doux chant qui m’appelle !
Et je m’envole sur son aile.

Bonsoir, mère, bonsoir, je suis le chant,
Je suis le chant,
Un ange murmure un chant qui m’appelle,
Moi je m’envole, je m’envole sur son aile.
Adieu! mère, adieu !
Je m’envole sur son aile,
Adieu! ma mère, adieu !
Je suis le chant, je suis le chant,
Je suis le chant, je suis le chant,
Je suis le chant, je suis le chant.

Dans cette société d’alors, à l’heure où meurent tellement d’enfants, il m’a semblé nécessaire d’échapper ce triste et fort beau texte.

Bien grand merci à mon ami Jean Perron pour cette recherche sur la Sérénade des Anges.

Pour une biographie de notre Emma magnifique, voir celle, bien fouillée, du musicologue Pierre Vachon.

L’image provient, bien sûr, de La Patrie, édition du 13 mars 1901.

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