Hein, ne me dites pas !
Notre bon mouchoir qui disparaîtrait ? Voyons donc. Je n’y crois pas. Quelqu’un quelque part se moque de moi ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Remplacé par un mouchoir de papier ? Bien non ! Vraiment, vous riez. Allez donc ! Sachez que ce n’est pas à moi qu’on va en faire accroire! J’ai déjà tout entendu !
La Patrie du 9 mars 1901 le laisse entendre pourtant !
Qui l’aurait cru ? Voici que le mouchoir de nos pères, l’antique et solennel mouchoir de toile, est menacé dans son existence. En quel temps vivons-nous, si rien n’est plus respecté ! — Mais, avant de récriminer, écoutons le procès. La parole est à l’accusateur général.
« Oui, messieurs, parmi les grands criminels, il n’en a jamais été de plus criminel que le mouchoir. Porté à nos lèvres, en contact avec nos narines, se mouillant au contact de nos yeux, il recueille tous les microbes, toutes les impuretés qu’il rencontre sur son chemin dans l’exercice de ses fonctions.
« Ceci fait, il est enfoui dans une poche, où il contamine tout ce qu’il touche, où il cultive ses microbes, puis il est porté chez la blanchisseuse qu’il va infecter à son tour; car vous n’ignorez pas quel tribut énorme paient les blanchisseuses à toutes les maladies contagieuses.
« Voyez les Japonais. Point de mouchoirs de toile chez eux, mais des petits carrés de papier qui sont jetés après l’emploi. Donc à mort le mouchoir de toile, vive le mouchoir de papier. Le roi est mort, vive le roi. »
Vous avez raison, monsieur l’accusateur, le mouchoir de toile est un sacripant, mais jamais nous ne serons assez Japonais pour rouler en boulettes et jeter dans la rue nos petits carrés de papier; aussi garderons-nous probablement nos mouchoirs de toile jusqu’à ce qu’on ait inventé des mouchoirs à prix infime qui pourront servir toute une journée et qu’on pourra jeter au feu le soir en rentrant chez soi. Jusque-là, rien de fait.
Oui, vraiment, en quel temps vivons-nous si rien n’est plus respecté !!! Tout s’en va à vau-l’eau, tout se désorganise, tout fout le camp ! Désespoir de désespoir ! Où mettrons-nous nos valeurs, diable ? Oui, mes chers parents, je vous entends, nous faisons pitié !