Maintenant que nous y sommes…
Pendant des années et des années, je fus un lecteur assidu du journal français Le Monde, publié à Paris. Je le suis toujours. Je buvais l’information qu’on y trouvait. Autant culturelle que politique, sociale et scientifique.
Les grands journaux nous nourrissent. Le Devoir en est un d’ailleurs.
En mai 1979, j’écris un article que je propose à André Fontaine, le rédacteur en chef du journal. En juin, celui-ci me répond que le texte sera publié, mais qu’il ne peut m’en donner la date. Finalement, l’article paraît le samedi 7 juillet 1979 en page 2. Retour sur la fin des années 1970.
Maintenant que nous y sommes…
Il a pris des centaines de siècles à l’homme pour atteindre l’âge de vingt ans, devenir adulte, occuper toute la terre, accéder au secret de la fission nucléaire, «la force la plus révolutionnaire, selon Einstein, depuis que l’homme préhistorique a découvert le feu, et le plus terrible danger devant lequel il se soit jamais trouvé». Maintenant, c’est fait. Nous arrivons à la croisée des chemins la plus importante de l’histoire. «L’humanité doit désormais s’élever de l’homme au genre humain, du personnel au transpersonnel, de la conscience de soi à la conscience cosmique.»
Nous marchons vers une gérance commune de la planète. Cela se fera en douce, petit à petit, par la bande.
Les signes ne mentent pas. La puissance de résolution des problèmes ne se conçoit plus en termes de nations. Avec tous les tiraillements imaginables, les pays européens, par exemple, reconnaissent quand même la nécessité de se structurer régionalement pour faire contrepoids à la force économique des États-Unis et du Japon. Et plus l’on tarde à le réaliser, plus l’urgence devient grande. Les problèmes sont divers.
Depuis quatre cents ans, une fringale de voyages et de découvertes nous habite. Au début, ce n’était la préoccupation que du petit nombre. Mais l’idée nous a tous gagnés. Les Anglais inventèrent le mot «tourist» en 1800, et la France le traduisit seize ans plus tard. Grâce aux derniers progrès techniques, nous achevons de généraliser la possibilité de se déplacer. «Près de 200 millions de personnes ont été transportées par voie aérienne en 1978 rien que pour l’Europe, alors qu’il y en avait 30 millions en 1958 (1).» « Selon l’Organisation mondiale du tourisme (O. M. T.), le monde comptera 3 milliards de touristes par an en l’an 2000. Ce chiffre, qui atteint 1,2 milliard en 1978 contre 480 millions en 1963, devrait, en effet, doubler au cours des vingt prochaines années (2).»
Il y a donc constamment de plus en plus de monde « sur la route ». Et nous faisons ponction sur le temps qui ne cesse de s’accélérer. «Le temps séparant l’Europe de l’Afrique est passé, en vingt ans, de quinze jours à six heures (1).» La volonté de maintenir un tel rythme de croissance a déjà pour conséquences l’uniformisation culturelle de la terre, de très grandes dépenses d’énergie, la mondialisation des maladies, etc. Il est certain que tous les hommes, sous peine, sinon, de le payer très cher, devront bientôt s’attabler pour en parler.
Partout l’écho est le même. Nous allons vers un resserrement; aussi faut-il économiser les formes présentes d’énergie, mesure qui ne fera que nous donner le temps de nous tourner vers d’autres formes, de penser ensemble l’aménagement de la terre. Face à des coûts prohibitifs, Soviétiques et Américains songent à mettre sur pied un institut de recherche sur la fusion nucléaire. La dernière rumeur laisse croire que le site en serait la ville de Varennes au Québec.
Où que l’on se retourne, le souhait exprimé reste le même. Le recteur Robert Mallet, chancelier des universités de Paris et président du Mouvement universel de la responsabilité scientifique, déclare : «Nous débouchons inévitablement sur une organisation mondiale de la prospective scientifique (étant admis qu’aujourd’hui personne ne saurait plus mettre en doute l’urgence d’une organisation économique mondiale)… On peut prévoir qu’un jour viendra où sera créé un C.M.R.S., c’est-à-dire un Centre mondial de la recherche scientifique destiné à rassembler toutes les compétences et les crédits pour faire face à des maux dont souffre l’humanité (par exemple, le cancer, la faim, les épidémies), quels que soient les régimes politiques. Ainsi sera évité le gaspillage des recherches parallèles ou en ordre dispersé (3).»
Nous y venons. Le poids du nombre nous y contraint, secteur par secteur, à la pièce. Et comme tout est relié et tout devra tendre à être de plus en plus relié, il nous faut penser à une gérance commune de la terre. Nous n’avons plus le choix. Déjà des organismes internationaux de tous ordres s’attachent à recueillir les données qui permettront de comprendre les problèmes, d’en connaître toutes les incidences et de pouvoir apporter des solutions. Il faudra multiplier ces agences, au besoin les fusionner. Et bientôt, très bientôt, des décisions communes devront s’ensuivre. Nous ne sommes peut-être plus très loin de ce gouvernement mondial pour lequel Albert Einstein fit campagne de 1946 à sa mort en 1955.
Nous avons avec nous notre civilité. Lorsqu’on fait l’histoire de la guerre sur la terre, on oublie de dire que, tout proportion gardée, jamais l’homme ne fut plus pacifique qu’aujourd’hui. Si nous avions conservé la fureur de notre grand-père Attila, jamais nous n’aurions pu atteindre ce nombre. Malgré les holocaustes qui constituent les restants de cette barbarie paranoïaque primitive, le vingtième siècle aura été celui de l’enfant, de la santé, de l’allongement de l’espérance de vie, de l’abolition de la peine de mort. Notre seul nombre est une preuve éclatante de l’affirmation des forces de vie sur celles de mort. L’humanité est luxuriante. Notre histoire récente est plus que jamais une insistance à poursuivre, une sorte d’appel à l’entente, une quête de l’harmonie. Il est important de le rappeler, alors que le pessimisme s’habille de tous les manteaux.
(1) Le Monde, 21 mars 1979.
(2) Le Monde, 24 mars 1979.
(3) Le Monde, 7 avril 1979.
Signe des temps. Cet article fut rédigé à la dactylo électrique, avant que les premiers ordinateurs personnels populaires voient le jour. Il fut envoyé à Paris par avion, bien avant l’avènement du courrier électronique.
Cette belle image de notre lieu de vie dans l’univers, notre chez-nous, provient du NASA Goddard Space Flight Center. On la trouve à l’adresse : http://www.flickr.com/photos/gsfc/6760135001/
Par ailleurs, la NASA vient de mettre en ligne un site à l’occasion du 50e anniversaire du vol orbital de John Glenn.
Très bon ce texte.
Avons-nous pris de la maturité depuis?
La question se pose.
La marche continue, cher Denis, la marche continue. Faut tenir. Même si nous voyons poindre encore des restants de ces temps barbares dans notre propre milieu, le Canada.
Époustouflant de lucidité! Merci, M. Provencher, de rester aussi optimiste.
Merci beaucoup, chère Vous. Jeudi soir, je donnais une conférence sur l’histoire du Carnaval de Québec à la Société historique du Cap-Rouge. Chemin faisant, de retour, à 22 heures, j’écoutais le radio-journal de Radio-Canada. Soudain j’entends que les pays européens venaient de demander la création d’une agence mondiale de l’environnement. Seul dans ma voiture, dans la noirceur de la nuit, j’ai souri. Il va falloir y venir, nous n’aurons pas le choix. Il faut tenir.
Dans notre monde capitaliste, nos dirigeants et les autres, ne voient et ne pensent qu’en terme de profits. Il est malheureux de constater que notre planète commence… non, je devrais dire continue d’étouffer et le sol de se contaminer sans que des actions intensives soient mises en place. Je ne veux pas vous paraître trop pessimiste quant à notre avenir mais il est grand temps que nos gouvernements passent en mode protection et conservation…au lieu d’expension et exploitation. Je suis pour un développement durable dans les meilleures conditions pour notre vie et survie. Notre avenir se joue au présent.
Cher Jean
Comme toi, ce texte n’a pas vraiment vieilli… les constats que tu faisais à l’époque, les questions que tu soulevais, tout ça est encore d’actualité…malheureusement! 30 ans se sont écoulées et qu’avons nous appris? Il est plus que temps de s’attabler pour en re-parler. Et j’apporte le vin!
Merci beaucoup, si cher sympathique ami. Il faudra bien s’attabler un de ces quatre pour rebrasser tout ça, en effet ! Nous piétinons, nous piétinons, jaspinas !