Sur la terre comme au ciel
Un jour, plus de 15 mois après la parution de mon ouvrage Un citadin à la campagne, je reçois une lettre d’une dame habitant Kelowna, en Colombie britannique. Cette lettre, datée du 15 janvier 1997, me bouleverse.
Cette correspondante, travaillant dans un petit centre de documentation là-bas, venait de terminer la lecture de mon livre, et m’écrit, comme en urgence.
Ça a été une révélation, un coup de cœur violent. C’est un livre doux, sensible, émotif, qui laisse ses traces. Pour moi, ça ne pouvait tomber mieux de lire ce livre maintenant. Je m’ennuie tellement du Québec, j’ai tellement envie de retourner chez-nous ! […] Je n’ai qu’un seul désir, celui de m’installer en campagne, je rêve d’un grand jardin, de verdure, de bancs de neige. Chez-nous. Donc votre livre tombait à point. Je suis entrée complètement dans le déroulement des saisons, des jours. J’ai littéralement «senti» tout ce que je lisais. Ça donne des émotions fortes une lecture comme ça ! […] J’ai galéré pendant des années à travers le monde, je n’ai jamais eu une envie comme celle que j’ai maintenant de m’installer, ne plus bouger, et de regarder vivre le temps. Il fallait donc que je vous écrive pour vous faire part de mon admiration.
Et Christiane Melançon est rentrée quelques semaines plus tard. A commencé tout de suite entre elle et moi une belle correspondance, avant l’ère d’internet, comme elle me l’écrivait le 17 décembre dernier, quand il fallait patienter pour la venue du facteur. Nous ne nous sommes jamais laissés. Sauf pour un court moment vécu à Verdun, elle a toujours habité la campagne depuis ce temps, longtemps dans la région de Lanaudière. Elle vit maintenant avec son amoureux en Gaspésie.
En décembre dernier, elle joignait à un courriel un de ses textes que la revue Mœbius avait accepté pour son numéro 131 sur le thème de la volupté. «Ma volupté à moi, c’est l’hiver au chaud» m’écrit-elle. Je l’ai immédiatement suppliée de demander à son éditeur la permission de reproduire ce texte sur mon site. Rapidement, elle en obtenait l’autorisation.
Le voici donc, ce texte. Et les photographies l’accompagnant sont de Christiane.
Sur la terre comme au ciel
J’habite un pays de neige et de froid. L’hiver s’installe tôt, et peine à se retirer. C’est cette saison que j’aime le mieux. La saison des poudroiements, des tourmentes, des nuits glaciales et tranchantes. Quand l’heure noire tombe comme un couperet alors que la journée n’est pas encore fatiguée, je suis douillette dans mon abri. La lumière allumée, le feu qui réchauffe, les livres aimés autour, tout me réconforte dans une espèce de volupté et de bien-être. C’est le temps des pensées, des rêves, des silences.
J’habite un pays blanc, où l’espace a les limites du ciel. Un ciel qui n’en peut plus d’être large, et où, la nuit, la voûte piquée de milliers d’étoiles vous attire comme un gouffre. L’éternité gagne du terrain, l’horizon est insaisissable dans son infini retranchement.
Mon territoire est assez grand pour être une nation à lui tout seul. Il est hanté par le vent venu tout droit du nord, qui donne aux arbres une allure costaude, habitués à s’arc-bouter contre les intempéries. Les gens d’ici leur ressemblent. Ils ont la force d’être et s’agrippent à leur territoire de la même façon.
J’habite un pays de montagnes, de denses vallées, de sommets enneigés, de rivières pleines de truites. Partout, le regard se pose sur l’infini et la beauté. Un territoire qui n’appartient à personne.
L’essence même de la vie se retrouve dans le cycle des saisons sans cesse recommencé. Le printemps tremblote dans son état adolescent où, dans l’indécision du temps, se jouent l’attente et l’impatience de ce qui suivra. L’été arrive, trop fort, trop lourd, explosif et ardent. C’est une course engagée avec les semailles et le temps, une partie perdue d’avance à vouloir tout faire, tout voir, à en jouir et à engranger, à en tirer profit. Quand vient la moisson d’automne, dans la lumière dorée qui s’installe, c’est la sérénité des jours de plénitude, le souffle qui s’apaise, la récolte du travail de l’été.
Et à chaque cycle, pareillement, je retrouve l’hiver comme un vieux complice de confidences, à travers les chuchotements du calme blanc. Le jardin a disparu, engourdi sous la neige. Fini l’éblouissement des implosions potagères. Les outils, brouette, râteaux ont le repos bien mérité. Les troupeaux d’oies ont déserté, les mésanges et les sizerins flammés prennent d’assaut les mangeoires.
La vie désormais sans fin devant ces longs mois de retraite ressemble à ces étés d’enfant où l’éternité nous guettait. Dans ma promenade quotidienne, je mêle mes pas à ceux des coyotes et des lièvres. Je suis lente, le temps a de l’avance. La chienne trotte à mes côtés, reniflant l’air, les oreilles au vent. Elle boit comme moi, à chaque pas, l’air qui s’engouffre dans nos poumons.
Et, à l’heure fragile de la tombée du jour, quand le ciel s’enflamme et se pare de mauve et de rose pour une dernière sortie furtive avant la nuit, le vent se calme, lui toujours alerte en ce pays maritime. Je rentre de mes explorations et mes errances avec bonheur. Il me semble là que c’est le plus pur des plaisirs, quand, gelée et transie, je me réchauffe auprès du feu allumé, plus ardent que tous les soleils d’été. C’est un ravissement sans nom, un contentement primaire.
La maison m’abrite. Elle a tenu plus d’une centaine d’hivers, droite et solide, en prenant racine dans la terre pierreuse. Elle fait face au nord, effrontément. Quand le vent se déchaîne, hurle sa force à n’en plus tenir debout, la maison craque et gémit un peu, mais tient bon. Elle le connaît intimement, ce vent, venu de bien au-delà de la mer, transportant effluves et courants marins. Cela fait tant d’années qu’ils se côtoient.
Elle est port et refuge, pleine de secrètes existences. Les perce-oreilles, mouffettes, hermines, écureuils, araignées, mouches y ont établi leurs quartiers depuis fort longtemps. J’y ai défini mon espace sans remuer l’ordre déjà établi.
Dans l’intimité du bruit feutré et des ombres allongées, la nuit s’annonce chaude et douce dans la plénitude. La lumière de la lampe est enveloppante. L’hiver m’allonge au creux des édredons, à rêver et à aimer.
Amour, ton respir, ta force
Allument mille feux de promesse
Et la possibilité de ce qui vient.
Merci, chère Christiane, de ce cadeau magnifique.
Voici l’adresse de Mœbius : http://www.revuemoebius.qc.ca/numero/numero131.html. Les photographies de cet article sont de Christiane, prises dans son pays.
Superbe, quel beau texte.
Merci.
Merci, cher Monsieur Bastien. Je suis si content que ma belle amie m’ait fait ce cadeau de ses écrits.
Heureuse femme de retour à son pays. Merci de ce partage qui réchauffe notre intérieur. Je m’y retrouve aussi.
Vous dire, chère Nicole, comment je suis heureux de ces textes. Et, ce matin, Christiane m’écrivait : « Merci tellement. Il fait très beau ce matin dans ma Gaspésie, il fait froid mais le ciel est bleu, le lever de soleil a été de toute beauté. Je suis allée nourrir les poules, et je m’en vais travailler. »
Wow ! Quelle belle hommage à une saison qui rebute tellement de gens … Suite à cette lecture, comment ne pas aimer l’hiver. Merci pour ce texte d’une GRANDE et BELLE sensibilité. Bravo Mme Christiane.
Merci beaucoup, bien cher Lukas. Je suis vraiment un chanceux et je voulais absolument que ce texte magnifique circule sur la Toile.
Merci à vous deux, chers!
Magnifique texte,
digne de votre anniversaire, mon très cher Jean!
Que Dieu vous donne longue vie,
en bonne santé, avec les mêmes forces, la même vitalité,
la même plume,
bel Oiseau d’outremer!
Je vous embrasse bien fort!
Melinda
Merci, si belle Melinda. Vos mots sont impossibles.
Quel beau texte, depuis que je suis à la retraite j’ai apprivoisé moi aussi l’hiver. Merci de nous avoir partager ce beau texte
Merci à vous, chère Marielle.
Je suis un lockouté de L’usine de rio tinto a Alma et je partage avec 780 de mes collégues,des quarts de piquetage le jour,le soir et la nuit!Avec des froids mordant de -30 degré nous retrouvons autour d’un feu pour parler,rire et se conter des histoires pas toujours catholique et il me semblent que nous nous solidarisons encore plus avec l’action du froids sur nos corps.Les soufrances endurés ensemble et l’infortunes nous rend plus fort a ce frette typique du saguenay/lac st jean.Je surprend a me dire que ce climat fait parti intégrante de ce que nous sommes comme peuple et je n’arrive jamais a détesté cette saison qui me semble un peu longue.
Merci tant de ce témoignage précieux, cher Monsieur Gaudreault !
C’est pour m’excuser de mes fautes d’orthographes,comme dirait ma mere on est trop vite s’ul piton enter!
Allez, cher Monsieur Gaudreault, forget the piton. Le cœur est tellement là !
L’hiver, on a ça dans nos veines… Rien n’est plus beau que que notre climat si changeant, nous allons de surprise en surprise à chaque jour qui passe, au long des saisons. Nous sommes vraiment chanceux d’habiter un si beau pays!
Absolument, chère zed bono.