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Dossier sur la « mousse de mer »

Dites, vous connaissez la Zostère marine ? Elle se récoltait dans le Bas-Saint-Laurent, de Cacouna à Trois-Pistoles, en particulier à l’Isle-Verte.

J’en parle assez abondamment dans mon ouvrage Les Quatre Saisons dans la vallée du Saint-Laurent. En voici un extrait :

Comme la cueillette de cette plante ne peut se faire qu’à marée basse, on se rend en mer en équipe, par groupe de six ou de sept, pour que le travail se fasse plus vite. Souvent ce sont trois membres d’une même famille, le père et les fils aînés, qui vont «à la mousse»; quelques enfants moins âgés les accompagnent, pour donner un coup de main. À marée basse, les pieds dans l’eau, on assemble d’abord en demi-cercle, de chaque côté du chaland à l’ancre, un enclos de piquets entrelacé de harts. Cet obstacle empêchera la dérive de la récolte. Ainsi prémuni, on peut vraiment se mettre à l’ouvrage.

Les hommes ne fauchent pas au petit bonheur. «Ils se suivent l’un derrière l’autre, chacun entreprenant la coupe d’une bande d’herbes en se dirigeant tout droit vers l’enclos. Une fois l’opération de coupe terminée, une bonne partie des zostères s’était amoncelée dans l’enclos formé par le bateau et les perches.» Simplement à bras ou en s’aidant de la fourche, on charge le chaland d’herbe à bernaches. «Il fallait bien répartir la charge pour que le tout se retrouve en équilibre au moment de la flottaison. Il fallait aussi mettre le maximum d’herbes tout en s’assurant que le chargement n’était pas trop abondant, ce qui aurait pu entraîner un naufrage.»

Avant de ramener le chaland au rivage, on défait l’enclos pour récupérer les piquets et les harts. «Dès que la mer montante avait atteint un niveau suffisant pour remettre l’embarcation à flot et assurer la navigation, ce curieux équipage pouvait se diriger lentement vers le quai de débarquement.» Pour laver l’herbe et la dessaler, on l’étend par la suite dans les champs dénudés, là où, durant l’été, on a fait les foins. La mère et ses filles se prêtent aussi à ce travail. Il y en a long à étendre: un chaland peut porter une douzaine de charretées. Le rouissage dure un mois; au bout d’une quinzaine de jours, il faut retourner l’herbe, sens dessus dessous, pour qu’elle s’assèche uniformément.

«Une fois desséchée, elle deviendra brune couleur “tabac”. Elle perdra aussi son apparence lisse pour devenir frisée et diminuée de volume. Une odeur de salin restera imprégnée et la mousse deviendra propre et légère. Lorsqu’on la serre entre les mains, elle a la propriété de s’aplatir pour reprendre ensuite sa forme initiale.» Par une journée de beau temps, on ramasse au râteau l’herbe séchée, avant de l’engranger.

L’herbe à bernaches sert d’isolant pour les maisons et de litière pour les bêtes. On l’utilise aussi pour rembourrer les colliers de chevaux, les sièges de voiture, les matelas, les paillasses et même les sommiers disposés sous les matelas de laine. On répète dans la région que dormir sur de la zostère guérit du rhumatisme. De plus, on assure que les matelas de mousse ne sont jamais rongés par les souris et ne peuvent servir de retraite aux puces et aux punaises. Il est vrai cependant qu’un matelas de zostère ne dure qu’une vingtaine d’années; petit à petit, la bourre se fait plus mince et laisse percer une fine poussière à travers le coutil.

Mais revenons au début du 20e siècle. La mousse de mer est sujette à débat. La Patrie du 26 janvier 1899 l’évoque.

L’herbe à Bernèche, nom vulgaire d’une espèce d’herbe ou de mousse marine qui pousse en abondance sur les grèves de Rimouski, de Trois-Pistoles, de l’Isle Verte, de Cacouna, etc., est devenu un article très achalandé. On l’utilise pour la bourrure des harnais, etc., et on tient à en faire l’exploitation. On prétend d‘un côté que cette herbe est propriété publique. C’est l’opinion du juge Cimon qui a déjà décidé dans ce sens-là. D’un autre côté, les propriétaires riverains maintiennent qu’ils en ont la propriété exclusive et par conséquent ils ont seuls le droit d’en faire l’exploitation. Les parties intéressées de part et d’autre en ont appelé au département des Terres, Forêts et Pêcheries, qui est actuellement à faire l’examen de la question avec ses aviseurs

Johanne Bérubé a fait sa mémoire de maîtrise à l’Université Laval en 1983 sur le sujet, comparant la cueillette de la mousse de mer entre la région de L’Isle-Verte au Québec et celle du Cotentin en France. Dans le texte extrait de mon ouvrage La Quatre Saisons, les citations entre guillemets sont de Madame Bérubé.

Marie-Victorin, lui, dans sa Flore laurentienne (édition de septembre 1964), écrit :

La Zostère a joui autrefois de la réputation de guérir les maladies scrofuleuses, sans doute à cause de l’iode qu’elle contient; c’est probablement de là qu’est née l’idée de l’employer dans les matelas hygiéniques.

En 1932, la Zostère a commencé à disparaître soudainement le long de la côte de l’Atlantique, depuis les Carolines jusqu’à la Nouvelle-Écosse; en 1933, la nécrose de la Zostère avait atteint le Saint-Laurent et la plante en était en voie de disparition complète. Le même phénomène s’est produit sur la côte atlantique européenne, où l’on a isolé, des plantes malades, un organisme bactérien que l’on a cru être la cause du phénomène nécrotique. On croit maintenant qu’il est plutôt causé par un Champignon qui vit dans les lacunes acérifères des feuilles.

L’image ci-haut de la Zostère marine est du photographe C. Nozères et apparaît sur le site: http://www.planstlaurent.qc.ca/archives/articles/2009/20090226_real_mpo_f.html. On y lit qu’un Réseau zostère fit mis sur pied en 2004 et que huit zosteraies (c’est ainsi que l’on désigne ces herbiers) dans le Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie, sur la Côte-Nord et aux Îles-de-la-Madeleine font l’objet d’un suivi annuel depuis ce temps.

P. S. Écoutez, vous le savez, je n’ai pas l’habitude d’y aller de dossiers. La plupart du temps, je ne fais qu’évoquer, vous abandonnant à votre jugement, à votre compréhension des choses. Depuis la mise en ligne de ce site interactif, il y a plus de huit mois maintenant, j’essaie toujours de faire court. Mais, cette fois-ci, devant le débat évoqué dans La Patrie en 1899, il me semblait vraiment nécessaire d’y aller d’un dossier sur le sujet, si court soit-il, pour aider à comprendre la Zostère et ce propos de La Patrie.

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